Page:Young - Les Nuits, trad. Le Tourneur, t. 1-2, 1827.djvu/41

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Où vais-je ?... Du bord étroit de la vie, j'abaisse mes regards tremblans... Dieu! quel abîme sans fond! épouvantable éternité, c'est toi que mon œil rencontre. Je n'en peux douter : tu dois t'attacher à mon être... Et comment l'éternité peut-elle appartenir à un être fragile, à moi, qui n'ai pas une heure en propriété ?

Que l'homme est un être étonnant! après Dieu, c'est le plus inconcevable. Pour avoir une idée juste de lui-même, il faut qu'il la compose de mille idées qui lui paraissent extravagantes. Quel contraste de richesse et de pauvreté, d'abjection et de grandeur! Que l'homme est vil! Que l'homme est auguste! Et le Dieu qui a fait cette étrange créature, qu'est-il donc ? Assemblage merveilleux de deux natures différentes, l'homme est le centre d'où partent deux infinis opposés : il forme la nuance délicate qui unit les deux extrêmes. Anneau brillant, il occupe le milieu dans la chaîne immense des êtres, qui descend depuis Dieu jusqu'au néant. Rayon éteint de la divinité, esquisse imparfaite, portrait effacé de la grandeur suprême; le frêle enfant de la poussière et l'héritier de la gloire; un faible immortel; un insecte infini; un ver, un Dieu !...