Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/288

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ce matin m’a dit que chacun était résolu à ne pas payer les taxes si l’Assemblée l’ordonnait ainsi. « Mais les soldats, n’auront-ils rien à dire ? — Non, monsieur, jamais ; soyez assuré comme nous que les soldats français ne tireront jamais sur le peuple, et puis le feraient-ils, que mieux vaut mourir d’une balle que de faim. » Il me traça un affreux tableau de la misère du peuple : des familles entières étaient dans le plus grand dénûment ; ceux qui ont de l’ouvrage n’en retirent pas le profit nécessaire à les nourrir ; beaucoup d’autres, trouvent même de la difficulté à se procurer cet ouvrage. Je demandai à M. de Guerchy si c’était vrai ; effectivement. Les magistrats ont défendu à la même personne d’acheter plus de deux boisseaux de blé dans le même marché, par crainte d’accaparement. Le sens commun montre que ces mesures tendent directement à accroître le mal, mais il est inutile de discuter avec des personnes dont les idées sont irrévocablement arrêtées. Aujourd’hui, jour de marché, j’ai vu le froment se vendre sous l’empire de ces règlements ; un piquet de dragons se tenait au centre de la place pour prévenir les troubles. D’ordinaire le peuple se querelle avec les boulangers, prétendant que le prix qu’ils demandent est au-dessus du cours ; de ces mots il passe aux voies de fait, soulève une émeute et se sauve emportant sans bourse délier et le blé et le pain. C’est ce qui est arrivé à Nangis et en plusieurs endroits ; la conséquence fut que boulangers et fermiers refusèrent de s’y rendre jusqu’à ce que la disette fût à son comble ; alors les céréales durent s’élever à un taux énorme, ce qui augmenta le mal et nécessita vraiment la présence des soldats pour rassurer les pourvoyeurs du marché. J’ai interrogé madame de Guerchy sur les dépenses de la vie ; notre ami M. l’abbé était de cette conversation, et il en résulte