Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/327

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chacun connaisse, ainsi les faits à l’appui de son opinion et les conséquences que de grands esprits en ont tirées. On a conseillé au roi bien des mesures contre les états, mais aucun de ses ministres ne lui a parlé de l’établissement des journaux et de leur prompte circulation, pour éclairer le peuple sur les points faussement présentés par ses ennemis. Quand de nombreuses feuilles paraissent opposées les unes aux autres, le peuple cherche à y démêler la vérité, et cette recherche seule l’éclaire ; il s’instruit et ne se laisse plus tromper si aisément. — Rien que trois convives à table d’hôte, moi et deux gentilshommes, chassés de leurs domaines, à en juger par leur conversation ; mais ils ne parlent pas d’incendie. Leur description de cette partie de la province d’où ils arrivent, entre Langres et Gray, est effrayante : il y a eu peu de châteaux brûlés, mais trois sur cinq ont été pillés, et leurs, propriétaires sont heureux de s’enfuir du pays la vie sauve. L’un d’eux, homme très judicieux et bien renseigné, croit que les rangs et les privilèges sont abolis de fait en France, et que les membres de l’Assemblée ayant eux-mêmes peu ou point de propriétés foncières, les attaqueront et procéderont à un partage égal. Le peuple s’y attend ; mais, que cela soit ou non, il considère la France comme absolument ruinée. « Vous allez trop loin, répliquai-je, la destruction des rangs n’implique pas la ruine. — J’appelle ruine, me dit-il, une guerre civile générale ou le démembrement du royaume ; selon moi, les deux sont inévitables ; peut-être pas pour cette année, mais pour l’autre ou celle d’après. Quelque gouvernement que ce soit, fondé sur l’état actuel des choses en France, ne pourra résister à des secousses un peu vives ; une guerre heureuse ou malheureuse l’anéantira. » Il parlait avec une profonde connaissance