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Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/171

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aux branchages givrés, s’amollissaient à l’acoustique sourde de la neige éparse partout. Et là-bas, élégant, charmeur et tendre, le roi fuyait toujours, devenait plus lointain, plus invisible, entraînant une pauvre vieille femme débile qui avait bercé son enfance. On les sentait perdus dans les réminiscences d’antan, rappelant des souvenirs, se souriant en silence. Le souverain, par ce suprême honneur, avait voulu payer quarante années de dévouement admirable. Sur la berge, les dames, les princes, les courtisans, les soldats goûtaient une émotion qu’ils dérobaient savamment. On louait le roi avec mesure. Clara se taisait. Au son de cette musique de rêve, d’étranges combats se livraient en son âme. Elle discutait avec elle-même, éperdument. L’acte affectueux du roi venait de la toucher au plus sensible d’elle-même. Elle se disait : « L’homme qui a eu ce geste de bonté est-il haïssable ? » Elle se sentait prise, roulée dans le tourbillon du monde nouveau, de ce monde ennemi dont il semblait qu’elle ne pût jamais être, et qui l’absorbait, qui l’aspirait cependant comme le fleuve boit le ruisseau. Elle se retenait : elle évoquait le vieux Kosor proscrit, Ismaël prisonnier, les tisseurs réduits à la famine et l’inégalité, la monstrueuse inégalité d’une société dont une monarchie était la base. Il fallait haïr Wolfran Elle le devait à sa conscience, à la mémoire de son maître, au lien qui l’enchaînait au chef même de l’Union.