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Page:Yver - Madame Sous-Chef.djvu/145

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— Oui, reprit Ninette, inébranlable, et qui, depuis huit jours, avait appris par cœur ce qu’elle devait réciter à ses patrons de quoi elle frémissait d’avance oui, j’ai du chagrin de quitter Monsieur, Madame, le petit et la maison et tout et tout. Mais je me marie dans quinze jours. J’épouse un agent de police qui veut que ça soit fait le plus vite possible.

— Voyons Ninette, c’est une plaisanterie !

C’est tout ce que put dire « Madame » atterrée. Et elle tourna son regard vers « Monsieur » qui ne l’était pas moins. Tous deux se sentaient choir sans un point d’appui où se retenir dans un abîme de difficultés, d’ennuis, de problèmes insolubles. Tous deux éprouvaient que Ninette leur était nécessaire, indispensable ; qu’elle formait le pivot autour duquel fonctionnait leur existence ; qu’elle partie, ils seraient perdus ; qu’ils étaient dépendants de sa personne, de ses services, de la confiance même qu’ils avaient placée en elle. Ce fut justement à cette dernière considération qu’ils se raccrochèrent, car le premier mouvement de leur égoïsme fut une révolte : « Pouvait-elle les abandonner après qu’ils avaient à un tel degré compté sur elle ? »

— Vous allez partir, Ninette, alors que nous vous avions si entièrement confié Bébé ? s’écria Rousselière.

Ninette fit cette réponse presque biblique :

— Bébé est à Monsieur et à Madame, mais mon fiancé, cet agent-là, il est à moi !

Les patrons se turent. Ils se reprirent. Ils avaient compris qu’il eût été inélégant de disputer à une pauvre petite servante son droit à la liberté, au festin de la vie. Une minute encore et ils avaient totalement abandonné leur point de vue pour se placer au sien :