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Page:Yver - Madame Sous-Chef.djvu/35

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Ce fut dans une pâtisserie, face aux Tuileries, que le traité de paix fut signé entre ces deux puissances belligérantes, si frémissantes du désir de se rapprocher pour toujours. La nuit était venue. Les arbres du noble parc voisin s’effaçaient dans les ténèbres où leur silhouette sombrait, tuée par l’illumination violente des lustres. Ici Rousselière paraissait sensiblement plus ému encore que le matin. C’est que, depuis ce matin, le sentiment qui l’envahissait avec une force proportionnelle aux heures l’avait sourdement manœuvré. Toute son existence lui était apparue doublée par celle de Geneviève Braspartz. Il l’avait déjà en quelque sorte épousée dans cet avenir. Il avait vécu ce long mariage. Il s’était vu merveilleusement heureux jusqu’à la vieillesse dans ce beau foyer qu’ils allaient fonder tous les deux. L’époque serait paisible, sans guerre dévastatrice comme celle qui lui avait pris son père ; leur maison, différente de celle qu’il avait connue auprès d’une mère veuve et solitaire : toute bruissante d’enfants rieurs et chanteurs. Filles et garçons appelés par eux à la vie y seraient des sources intarissables de joie, d’intensité dans l’existence. Leur maison serait tout un monde, et eux, ses créateurs. Et ce miraculeux programme était dépendant d’un mot sorti des lèvres qu’il voyait présentement devant lui, peintes d’un carmin bien discret, à peine allongées d’une esquisse de sourire, retenant encore, dans leur fragilité de fleur, l’immense secret d’une âme de jeune fille.

Mais comme toujours en pareil cas, ces deux êtres, si tenaillés qu’ils fussent par le désir de s’affronter enfin directement et une fois pour toutes, recouraient à des biais comme pour se leurrer l’un l’autre, se dépister l’un l’autre, camoufler leurs intentions véritables, se donner le change.