— On l’a rencontrée à Javel — au bord de l’eau. Elle voulait… Elle voulait…
Droite sur sa chaise, la rescapée du suicide n’ajoutait rien, mais de lourdes larmes de nouveau se formaient une à une au coin de sa paupière et roulaient sur ses joues toutes blanches.
— Vous comprenez, papa, maman, à un moment, on l’a vue se pencher ; on a cru que ça y était ; on a eu peur ; on lui a couru après ; on l’a prise par la main ; on n’a pas voulu qu’elle se noie, n’est-ce pas ? On pensait bien que vous ne nous gronderiez pas ; on ne savait pas que faire ; on l’a amenée ici pour souper.
Jean Cervier a une forte voix de basse, sonore comme un bourdon de cathédrale, surtout quand une émotion le prend, sensible comme il est, en son corps de colosse.
— Vous avez faim, peut-être ? demande-t-il de cette voix vibrante qu’il essaye de contenir, qui n’en est que plus pathétique.
— Plus maintenant, avoue la pauvre femme-épave ; mais j’ai eu faim…
— Chez les Cervier, déclare-t-il fièrement, il y aura toujours un morceau de pain pour qui n’en a pas. Femme ! qu’on se mette à table vivement ; et un couvert de plus !
— Maurice n’est pas rentré, mon Jean, objecte la mère en apportant l’assiette et le verre.
Maurice est en retard. Il a quinze ans. Il veut sortir du monde ouvrier par la porte du commerce, convoite la mercerie de sa grand’mère Leriche ; en attendant il s’est placé comme coursier dans un magasin de nouveautés sur la rive droite.
— Tant pis pour lui, formule le père ! Allons, Grand’-Mère, à table !
— Vous avez bon cœur, dit la vieille dont, à cette appellation de « grand’mère », le visage s’est éclairé d’une espèce de sourire, et vous avez élevé vos enfants selon votre propre cœur. Ce sont eux-mêmes qui vous récompenseront.
La soupe était bonne. Trente-six légumes et un morceau de lard. On entendait un lappement de sept langues gourmandes qui s’étaient tues pour l’occasion. Mais, plus que cette soupe délectable, les trois plus jeunes