Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

trop boire de liqueur mélangée à son avoine, ce matin… Ah ! c’est bien dangereux d’exciter un cheval par les liqueurs fortes ! Vous vouliez donc vous tuer ?"

Le jeune gentilhomme au pourpoint noir était devenu affreusement pâle. Il considérait son cheval d’un œil sombre où se lisait une épouvante sans nom.

"Oh ! les misérables ! les misérables !" murmura-t-il au fond de lui-même.

"Vous pouvez le monter, maintenant, reprit Capestang ; il sera doux comme un mouton ; l’accès d’ivresse furieuse est passé et l’a fort abattu."

"O Ornano ! songea l’inconnu. O Luynes ! Est-ce donc vous qui aviez raison ? Est-il donc vrai que si je ne frappe pas, je serai frappé ? La mort rôde donc autour de moi ? Oui, oui ! Les poignards s’aiguisent dans l’ombre maudite des conspirations ! Le poison se prépare ! Tout sera bon pour m’apporter la mort, puisque déjà on affole le cheval que je dois monter, afin qu’un accident laisse vacant le trône de France ! Oui, oui, il est temps d’agir !"

"Monsieur, ajouta-t-il en se remettant en selle, j’habite le Louvre. Venez-y quand vous voudrez, demandez M. Vitry qui est un de mes parents, dites-lui simplement : Meudon. Et il saura ce qu’il a à faire."

Il piqua son cheval qui s’éloigna à pas tremblants, et bientôt disparut aux yeux de Capestang stupéfait.

"Corbacque ! songea celui-ci, voilà un gentilhomme qui me semble en user avec quelque sans-gêne. J’ai risqué pour lui de me rompre les os, et puis : « Allez voir mon parent Vitry ! » Attends un peu ; si le Vitry en question espère ma visite, il pourra l’espérer longtemps. Merci ! J’aurais l’air d’aller mendier au père ou à l’oncle un remerciement dont je me soucie comme de ceci !"

Il fit claquer ses doigts. Puis il siffla Fend-l’Air qui accourut. Et se mettant en selle, il continua son chemin.

Vers ce moment-là, une troupe de cinq ou six cavaliers quittait Paris et se lançait à fond de train sur la route de Meudon. C’étaient des gens que nous avons entrevus à l’hôtel Concini ; c’étaient les sires de Bazorges, de Montreval, de Louvignac, de Chalabre, de Pontraille ; à leur tête galopait Concini, flanqué de Rinaldo. Ils allaient silencieux et rapides, pareils à une bande de vautours que pousse un vent de tempête. Ils avaient des figures sinistres. Concini de ses yeux terribles, interrogeait l’horizon.

"Vite ! Plus vite ! Pourvu que j’arrive à temps pour mettre la main sur Luynes. Vous entendez, mes braves, pas de quartier ! Et nous sommes les maîtres ! Vite ! Plus vite !"

Et les spadassins, rués en leur infernal galop, s’assuraient que leurs poignards glissaient bien dans leurs gaines. Et c’était une funèbre, une fantastique chevauchée qui, pareille à un