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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/147

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"Parce que Giselle d’Angoulême s’est évadée dans la mort : elle vient de se tuer !"

La reine, en prononçant ces mots, se leva. Concini demeura sur son tabouret, écrasé, foudroyé, la gorge serrée par une affreuse angoisse, livide, hagard, sans un mot, sans pensée, effondré dans l’horreur… tout tournait autour de lui, et ce mot résonnait sourdement dans sa tête : « Morte ! Morte ! » Seulement, de ses lèvres entrouvertes s’échappait un râle précipité. Marie de Médicis le contemplait avec une joie sombre et farouche.

"Morte ! bégaya enfin Concini. Morte !

— Morte !" répéta la reine.

Concini ne pleura pas. Peut-être y avait-il en lui plus de rage encore que de douleur. Giselle lui échappait à jamais. Évadée dans la mort ! Il ne posa aucune question. Il souffrait atrocement. Il n’avait qu’une idée : s’en aller, fuir, se réfugier en quelque solitude pour crier, sangloter, hurler sa souffrance. Il voulut se lever... Marie de Médicis le retint d’un geste et cria :

"Giuseppa !"

La servante favorite, servante de mystérieuses besognes, entra.

"Giuseppa, dit la reine, raconte à M. le maréchal ce qui est arrivé ce soir à cette fille…

— C’est bien triste, madame, dit tranquillement Giuseppa. Pour obéir aux ordres de Votre Majesté, j’avais proposé à la demoiselle de sortir du Louvre, à condition que ce serait la nuit, et qu’elle ne ferait aucune tentative pour s’éloigner de moi. D’ailleurs, deux gentilshommes du service de la reine devaient nous suivre. La demoiselle accepte avec joie, et me charge de transmettre ses remerciements à Sa Majesté généreuse. Bon. Sur les dix heures, nous quittons le Louvre. Je lui demande de quel côté elle veut se diriger. Elle me répond qu’elle aimerait respirer la fraîcheur du fleuve. Bon. Nous remontons donc la Seine. La demoiselle semblait calme, heureuse de cette promenade. Nous arrivons au-dessus du Pont-au-Change. Tout à coup, la demoiselle me dit : « Je ne puis plus vivre ainsi, je suis trop malheureuse. » Et elle se met à courir sur la berge vers le fleuve. Je pousse un cri. M. de Lux et M. de Brain, qui nous escortaient à distance, accoururent. Trop tard ! La demoiselle s’était jetée dans le fleuve. Pas de bateau. Personne. M. de Brain se précipite à l’eau et s’épuise en vains efforts : le courant avait entraîné la malheureuse jeune fille sous les arches du pont. Là, elle est prise par les tourbillons. Un instant, nous la distinguons dans la nuit. Puis, plus rien, sinon que M. de Brain s’est allé coucher avec une grosse fièvre, le pauvre jeune homme.

— C’est bien, Giuseppa, tu peux te retirer, ma fille", dit la reine.