Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/181

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vous donc ? – À vous. Monsieur l’espion, monsieur l’écouteur, monsieur le suiveur, si vous savez une prière, dites-la, car je veux vous rompre les os, je veux... » Monsieur, je n’eus pas le temps d’achever, continua Cogolin. Le Laffemas fit un bond terrible en arrière et se mit à fuir. Je m’élançai. Ou plutôt, je voulus m’élancer. À ce moment, monsieur, il me sembla que le ciel s’écroulait sur ma tête et que la terre s’effondrait sous mes pas : je venais de recevoir sur le crâne un coup de je ne sais quoi qui m’étendit tout raide. Je n’eus que le temps de voir deux sacripants empressés à me fouiller, et je m’évanouis… Quand je revins à moi, il faisait presque jour, et je n’avais plus de bourse !"

Capestang n’écoutait plus. Il se promenait avec agitation, se demandant ce que signifiait ce carrosse qui, parti de l’hôtel d’Angoulême, s’était rendu rue des Barrés.

"Alors, acheva Cogolin, je me mis en route vers la rue Dauphine, et, derrière ma palissade, je retrouvai Fend-l’Air et son compagnon, qui n’y comprenaient rien. Et je rentrai au logis, mourant de faim, monsieur. Mais voyant monsieur le chevalier si parfaitement heureux aux bras de Morphée, comme disait mon maître le régent, j’eus la patience d’attendre le réveil de monsieur, dans l’espoir que monsieur donnerait à manger à son fidèle écuyer.

— La rue des Barrés, murmurait Capestang, qu’est-ce qu’il peut y avoir rue des Barrés ?

— La rue des Barrés ? fit Cogolin d’un ton dédaigneux. Une triste rue où on ne voit pour tout potage qu’un maigre cabaret à l’enseigne du Moine Barré, plus une rôtisserie étique à l’enseigne de la Sarcelle d’Or. Tout dans cette rue est paisible, tout y sent son frocard, et, en effet, elle fut jadis régentée par le couvent des moines barrés[1]. Maisons muettes, fenêtres aveugles... triste rue !"

Une chose que Cogolin ignorait, c’est que Charles IX, roi de France, venait souvent dans cette rue, où il avait acheté une fort belle maison bourgeoise pour la douce et bonne Marie Touchet. C’est dans cette maison (où nous eûmes occasion de conduire ceux de nos lecteurs qui ont bien voulu s’intéresser à notre précédent ouvrage Les Pardaillan paru dans la collection du Livre populaire) qu’était né celui qui s’appelait maintenant comte d’Auvergne, duc d’Angoulême. La maison était dans l’apanage du duc conspirateur.

"Monsieur, reprit Cogolin, si vous voulez, je vous conduirai à l’endroit exact où s’est arrêté Laffemas en disant : « C’est là, bon ! » Mais je vous ferai remarquer que si vous avez dîné de colère, je n’ai rien mangé, moi, et je meurs de faim. Mort pour mort, je regrette de ne pas avoir été

  1. Les Carmes, qui portaient un costume noir barré de blanc. D’où le nom de barrés que leur donnait le peuple. (Note de l'auteur)