Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/190

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Les victuailles amassées par le génie de Cogolin durèrent huit jours, pendant lesquelles le chevalier de Capestang nourrit son corps de plantureux dîners et son esprit de réflexions amères.

"Tout cela parce que j’ai rencontré Giselle ! finissait-il par dire."

Alors, il s’invectivait, il se jurait d’arracher cet impossible amour de son cœur, de ne plus penser à elle, et, quand il s’était fait ce serment, il sautait sur Fend-l’Air et d’un temps de galop courait à Meudon, dans l’espoir de la revoir, ou bien rue Dauphine, ou bien rue des Barrés, où Cogolin lui avait montré la maison devant laquelle s’était arrêté le carrosse. À Meudon, un matin, il s’enhardit à pénétrer dans le mystérieux château enchanté : il était désert. La jolie fée elle-même avait disparu. Une nuit, il pénétra dans l’hôtel d’Angoulême, mais là aussi, c’était la solitude. Quant à la maison de la rue des Barrés, jamais il n’en vit s’entrouvrir la porte ou les fenêtres.

Le chevalier sentait une sorte de folie l’envahir. Il traversait Paris en plein jour, sans prendre la moindre précaution ; il rêvait de se laisser arrêter ou tuer ; mais il paraît que son heure n’était pas venue ! Cette existence dura une douzaine de jours. Un soir, désespéré, abattu, il était assis sur le bord de son lit, un sourire d’amertume crispait ses lèvres qui semblaient faites seulement pour les cris héroïques, de grosses larmes gonflaient ses yeux qui étaient fait pour étinceler dans la bataille, et ses bras retombaient, désespérés, oublieux des grands gestes épiques. Il murmura :

"Autant mourir. Je ne la verrai plus. Et quand même je la reverrais ! Ce serait pour assister au triomphe de Cinq-Mars, son fiancé ? Non, autant mourir. C’est fini !"

A ce moment, une voix caverneuse et lugubre, près de lui, reprit en écho :

"C’est fini ! oui, monsieur. Nous avons vidé hier notre dernier flacon. Vous dévorâtes il y a trois jours le dernier restant de la cuisse de cochon – du dernier jambon, comme s’exprime maître Lureau. Et en ce moment, monsieur, voici notre dernière muse. Mourir ! vous l’avez dit. Nous allons mourir de faim et de soif."