Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/193

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La jolie fille qui manœuvrait pour être vue de Capestang, c’était Marion Delorme !

Une longue demi-heure s’écoula encore. Enfin, la dernière bille de l’urne disparut ; un grand silence ; un reflux de joueurs vers le billard : des yeux flamboyants qui se braquent sur la boule, laquelle, sans souci de tant d’angoisse, va, court, revient, saute ; et enfin, la voix de la tenancière qui proclame :

"Messieurs, vous pouvez voir que le numéro vingt-cinq a gagné !"

Cette fois, Capestang pâlit. Cette chance répétée lui faisait peur. Vite remis de sa stupeur, le chevalier empocha les soixante nouvelles pistoles qu’il venait de gagner.

"Ma foi, dit-il en riant, il n’y a aucune raison pour que ma bille ne me favorise pas une troisième fois."

Et il reprit une bille. Cette fois, elle portait le numéro trois.

"Mais, monsieur, vous m’excédez ! fit près de lui une voix qui le fit tressaillir. Laissez-moi, je vous prie. Vos hommages ressemblent trop à une insulte !"

Capestang se retourna vivement. Il reconnut Marion Delorme et salua gracieusement. Il reconnut M. de Louvignac et salua d’un tel air d’insolence que le spadassin pâlit de fureur.

"Chevalier, dit Marion Delorme, toute frémissante et plus jolie encore de sa colère, votre main pour me conduire à mon carrosse et me débarrasser de monsieur !

— Ne craignez rien, madame, dit Capestang ; maintenant qu’il a un homme devant lui, monsieur va devenir doux comme un agneau : Pulcinello devant le Capitan.

— Parce que monsieur m’a vue deux ou trois fois à l’hôtel d’Ancre, il se croit obligé de m’aimer, il se croit le droit de me le dire, et n’admet pas que je refuse de l’entendre...

— À l’hôtel d’Ancre, madame ! Et que diable aussi vous risquez-vous dans cet antre d’égorgeurs !"

Louvignac, livide, fit un pas vers Capestang. Un grand silence se fit autour d’eux. Quelques gentilshommes, qui avaient entendu les derniers mots de Capestang, et ne concevaient pas qu’un homme fût assez fou pour risquer de telles paroles contre Concini, gagnèrent tout doucement la porte, de peur d’être compromis. Capestang fit une courbette comme en faisaient les mimes de la Comédie-Italienne et dit :

"Allons, Pulcinello, plains-toi au Capitan !

— Monsieur, bredouilla Louvignac, ivre de rage, vous convient-il de venir me répéter ces paroles ailleurs que dans ce salon ?

— Partout où vous voudrez, monsieur, répondit Capestang