Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/200

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"Pardieu, gronda-t-il, puisque ce freluquet tenait tant à me tuer lorsqu’il était en nombreuse compagnie, je veux voir s’il est toujours dans les mêmes intentions maintenant qu’il est seul."

Et il pressa le pas. A l’instant où le chevalier s’apprêtait à s’élancer et à interpeller Cinq-Mars, il s’arrêta court : d’entre les palissades de la rue, trois hommes venaient de se glisser ; déjà ils entouraient Cinq-Mars, et Capestang entendit une voix rocailleuse qui ricanait :

"Votre bourse, monseigneur ! Ou à défaut de bourse, nous prenons la vie !

— Au large, truands ! cria Cinq-Mars d’une voix ferme. Ah ! à moi ! au truand ! on me..."

La voix s’étouffa. Peut-être le marquis était-il bâillonné. Capestang vit le groupe informe qui s’agitait confusément. Nous avons dit qu’il s’était arrêté. Cet arrêt dura deux secondes : une pensée traversait le cerveau du chevalier... une pensée ! Puis, tout à coup, il se rua, fonça furieusement et se hurla à lui-même :

"Je ferais cela, moi ! Je laisserais tuer un homme sans bouger ! Ah ! misérable cœur ! Je te vomirais de dégoût pour avoir osé concevoir une seconde une aussi affreuse vilenie. Holà ! Holà ! Tenez bon, monsieur ! On vient ! Vous êtes sauvé !"

Il ne s’était pas donné la peine de dégainer. D’un bond, il tomba à bras raccourcis sur les trois malandrins, assomma à demi d’un coup de poing le premier qui se présenta à lui, envoya rouler le deuxième jusque sur les palissades, et saisit à la gorge le troisième qui, tout pantelant, n’eut que le temps de crier : « Grâce ! »

"Va-t’en ! gronda le chevalier. Allez-vous-en, ou, par les cornes de votre patron Satanas, je vous éventre avec vos propres poignards pour ne pas salir ma rapière !"

Tout étourdis, tout saignants, ahuris d’épouvante, les trois malandrins s’enfuirent en se disant :

"C’est le diable en personne !"

Déjà Capestang se penchait sur Cinq-Mars, arrachait le bâillon qui l’étouffait, et l’aidait à se relever. Cinq-Mars respira longuement. Puis d’une voix émue :

"Sans vous, monsieur, j’étais mort. Votre nom, je vous prie, que je le répète à tous ceux qui m’aiment, depuis mon père, jusqu’à ma fiancée, afin qu’ils prient pour vous tant qu’ils vivront !"

Capestang tressaillit violemment. Il recula de deux pas. Et d’un accent de sombre amertume :

"Il est inutile que votre fiancée prie pour moi, monsieur de Cinq-Mars. Je ne vous dirai donc pas mon nom. Tant mieux si vous ne me reconnaissez pas. Moi, je vous jure, je n’ai pas eu besoin de votre nom pour vous reconnaître !