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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/215

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la gueule. Dans cette seconde, ces deux profonds simulateurs dédaignèrent de dissimuler. Ils s’apparurent l’un à l’autre ce qu’ils étaient : deux fauves rués sur le monde, poussés par les mêmes appétits, doués de la même volonté violente. Tout était dit entre eux ! Une minute, ils demeurèrent l’un en face de l’autre, flamboyants, se faisant peur, peut-être, ou peut-être s’admirant.

"Marion est à moi ! songea Richelieu qui, reprenant presque aussitôt son sang-froid, ajouta : Je le hais, madame, parce que ce misérable cadet peut déranger de grands desseins ; il ne m’a fait aucun mal, à moi, mais il en peut faire à l’État par son esprit d’audace et d’intrigue, et surtout par l’influence qu’il peut exercer sur Giselle d’Angoulême.

— Sur Giselle ! murmura Léonora frémissante de ce qu’elle entrevoyait. Quelle influence ?

— Elle l’aime !

— Êtes-vous sûr de cela ? frissonna-t-elle.

— Elle l’aime ! Et il l’aime, ou du moins, il feint de l’aimer, car je crois savoir qu’en réalité le cœur et l’esprit de cet aventurier sont pris ailleurs (Richelieu eut un soupir de rage.) Mais vous comprenez quelle proie peut être une Giselle d’Angoulême pour cet affamé venu à Paris pour y chercher fortune. Quant à elle, sa passion est profonde et sincère. Une conversation a été surprise une nuit à l’hôtel d’Angoulême : elle y avouait, elle y proclamait son amour à son père.

— Oh ! murmurait Léonora, je commence à voir clair ! Ce prêtre se trompe : Capestang aime Giselle ! C’est pour elle, c’est pour la conquérir qu’il accomplit des prodiges ! Ils s’aiment ! ajouta-t-elle avec une joie effroyable. Je tiens ma vengeance !

— Il s’agit donc, reprit l’évêque, d’abattre tout d’abord cet obstacle. Madame, il faut supprimer Capestang !

— Je crois que vous avez raison, dit froidement Léonora. Je ferai chercher cet homme, et quand il sera trouvé...

— Il est trouvé, interrompit Richelieu. Dans une pauvre auberge de la rue de Vaugirard, à l’enseigne du Grand-Henri, on le prendra quand vous voudrez."

Richelieu s’inclinait. Quand il se redressa et que ses yeux se portèrent sur Léonora, il la vit si terrible que, de nouveau, il s’inclina très bas pour cacher sa propre joie.

"Capestang est un homme mort ! Marion est à moi ! Madame, reprit-il à haute voix, j’ose espérer que les avis du pauvre évêque que je suis à l’illustre homme d’État qu’est M. le maréchal d’Ancre seront accueillis en bonne part."

Léonora saisit la main de l’évêque, et, tout bas, d’une voix où grondait sa joie furieuse :

"Richelieu, dit-elle, Concino vous a promis pour demain le titre d’aumônier de la reine. Je cherche depuis un instant ce que je pourrais vous promettre, moi ! Et voici ce que je