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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/219

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demandant ce qu’il allait apprendre de nouveau en cette soirée, il ne perdait pas de vue qu’il était là surtout pour dîner.

"Que mangerions-nous bien ? demanda Lanterne en s’asseyant en face de Cogolin, qui déjà avait pris position. Que dites-vous d’un de ces poulets froids que je vois alignés là ? Dame Léonarde (« Bon ! se dit Cogolin, le drôle est déjà venu ici »), donnez-nous donc un de vos poulets avec deux bonnes bouteilles de votre vin de Suresnes. Ce nous sera un souper convenable.

— Ah ! monsieur de Lanterne, dit Cogolin (Lanterne leva vers l’hôtesse ses gros yeux de ruminant, comme pour lui confirmer que c’était bien lui qu’on appelait ainsi), on voit que vous avez des goûts de grand seigneur. Un poulet froid et deux bouteilles de Suresnes ! Peste !

— Dame Léonarde, fit Lanterne qui enflait d’orgueil, vous joindrez au poulet une ou deux tranches de ce jambon, et au lieu de votre Suresnes qui est quelque peu aigre, vous nous donnerez trois bouteilles des côtes de Mâcon.

— Du jambon et du mâcon ! s’écria Cogolin. Diable ! décidément, il n’y a que les gens de qualité pour savoir manger et boire. Moi, j’eusse, demandé du fromage et de la piquette. Ah ! monsieur de Lanterne, jamais je n’oserai me nourrir de ces choses destinées aux palais raffinés !

— Gens de qualité ! murmura Lanterne. Bah ! fit-il avec bienveillance, nous sommes ainsi, nous autres. Dame Léonarde, ajouta-t-il en jetant à Cogolin un regard destiné à l’achever de stupeur admirative, vous nous donnerez un peu de ce pâté que je vois sur ce dressoir ; vous y joindrez ce gâteau de riz au lait et, au lieu de votre vin rouge qui est un peu bien grossier, vous nous donnerez quatre bouteilles de vin d’Anjou."

Une heure plus tard, Cogolin en était à insinuer que Lanterne pourrait bien être un duc déguisé ; à ce moment, six bouteilles vides attestaient la magnificence de Lanterne qui, d’ailleurs, était parfaitement ivre, vu que, sur les six bouteilles, son hôte lui en avait fait boire cinq, et proposait à Cogolin de le prendre à son service. Cogolin qui était rassasié au point de pouvoir défier un jeûne de trois jours – car il possédait un estomac qui comme celui de certains carnassiers, se pliait à toutes les circonstances, déclina cette offre et se mit à appeler son hôte : Lanterne tout court.

Lanterne, précipité du haut de sa grandeur éphémère, allait demander à Cogolin les causes de ce manque de respect qui lui mettait les larmes aux yeux, lorsque la porte s’ouvrit, un homme entra, qui, lui aussi, avait l’allure d’un laquais de bonne maison.

"Bonsoir, Bourgogne, bonsoir !" bégaya Lanterne.

L’homme, sans faire attention à Cogolin, qu’il prit sans doute