Aller au contenu

Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/296

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Vous ne voyez pas qu’on ne peut pas passer ! Il y a pourtant assez de monde dans la rue ! Où diable mettez-vous vos yeux ? Dans votre poche, peut-être ?"

Mais déjà Cogolin n’écoutait plus. Et ces yeux qu’on lui reprochait de mettre dans sa poche, il les ouvrait tout grands, tout arrondis de surprise, et les fixait avec stupeur sur quelque chose qui devait lui sembler extraordinaire.

"Ah ! ah ! murmura Cogolin. Qu’est-ce que cela veut dire ?"

Il y avait encombrement dans la rue. Plusieurs carrosses stationnaient sur le côté gauche, tandis que le reste de la chaussée était occupé par une foule de badauds, le nez en l’air. Or, sur le côté droit de la rue, devant une boutique spacieuse, des tréteaux avaient été élevés. Sur ces tréteaux, il y avait deux hommes qui se démenaient, gesticulaient et parlaient à la foule qui, à chaque instant, éclatait de rire. Sur cette estrade se dressaient trois tableaux : l’un, au centre, immense ; les deux autres, de plus modeste proportion, le flanquaient à droite et à gauche. Le tableau de gauche représentait une dame en vêtements de cour ; cette dame était entièrement chauve ; au-dessous, une pancarte portait ce simple mot : AVANT ! Le tableau de droite figurait la même dame, avec le même costume, mais pourvue d’une chevelure qui lui tombait aux talons ; la pancarte, dans sa simple éloquence, disait : APRÈS ! Cogolin porta son regard d’Avant à Après, du tableau de gauche tableau de droite, de la dame chauve à la dame chevelue. Puis, ces yeux écarquillés par l’effarement, il les ramena sur le grand tableau central, et tressaillit jusqu’aux fibres les plus insensibles de sa longue personne. En effet, cette peinture violemment enluminée représentait une sorte de déesse ou de magicienne. Et au-dessus de cette fée, ou de cette nymphe qui souriait en présentant du bout de ses doigts un pot à onguent, s’étalaient en lettres énormes ces mots qui firent béer Cogolin de stupeur et le firent frissonner d’un vague espoir :

A L’ILLUSTRE CATACHRESIS

"Catachrèsis !... rugit en lui-même Cogolin. Par la sambleu ! Par corbleu !... Catachrèsis ! Je ne rêve pas ! J’y vois clair ! Cornes de Satan ! C’est bien Catachrèsis ! Je me pincerais bien pour voir si je suis éveillé mais je ne peux pas, je n’ai plus que des os et un peu de peau dessus."

Son regard émerveillé, alors, descendit précipitamment de l’illustre souriante Catachrèsis aux deux hommes qui paradaient sur les tréteaux, il faillit s’affaiblir de joie, il eut un grondement de stupéfaction, sa bouche se fendit jusqu’aux oreilles en un rire de bonheur, ses yeux pleurèrent !

"Lureau ! fit-il d’une voix étranglée. Maître Lureau !"

L’un de ces deux hommes, en effet, n’était autre que Lureau, le patron de l’ancienne