Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/297

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auberge du Grand Henri. Lureau vendait à l’enseigne de la Catachrèsis l’onguent que Cogolin, pour lui arracher quelques pistoles et quelques poulets accompagnés de jambons et de pâtés, lui avait affirmé être souverain pour la repousse des cheveux ! Lureau berné faisait fortune en bernant à son tour le peuple de Paris ! Lureau possédait la boutique la plus achalandée de la rue Saint-Martin ! Lureau, le crâne orné d’une magnifique perruque qu’il jurait naturelle, débitait sans trêve ni relâche de petits pots emplis de graisse de bœuf mélangée de suie. Gentilshommes, bourgeois, artisans se pressaient devant la boutique ! Cogolin trépignait d’enthousiasme. À ce moment, quelqu’un le toucha l’épaule. Il se retourna et se vit près d’un carrosse de bonne mine au fond duquel était assise une jeune femme d’une éclatante beauté qui semblait examiner maître Lureau avec un étrange intérêt.

"Tiens ! pensa Cogolin, la jolie dame qui, aux Trois-Monarques, m’a donné neuf pistoles et qui vint faire visite à mon pauvre chevalier, à l’auberge du Grand-Henri."

C’était en effet Marion Delorme. Que voulait-elle donc ? Marion Delorme avait-elle reconnu sous les oripeaux du charlatan l’aubergiste du Grand-Henri ? Voulait-elle essayer de savoir, en interrogeant cet homme, ce qu’était devenu le chevalier de Capestang ? Peut-être. En tout cas, ce n’était pas elle qui avait touché Cogolin à l’épaule ; c’était un laquais galonné, chamarré, majestueux, qui, juché derrière le carrosse, s’était penché, et lui disait :

"Je ne me trompe pas ; c’est bien monsieur Cogolin que je vois ici ?"

Cogolin reconnut aussitôt la face rubiconde et vermeille ainsi que le ventre monumental du valet de Cinq-Mars.

"Monsieur de Lanterne ! s’écria-t-il en s’inclinant humblement. (C’est le ciel qui me l’envoie !)"

Lanterne rougit un peu, mais il sourit. Cogolin vit ce sourire et en inféra habilement que si Lanterne n’avait pas oublié tout à fait la leçon du renard au corbeau, sa vanité recherchait encore les délices de l’encens dont elle s’était enivrée avant cette leçon. Mais Lanterne voulait aussi une vengeance.

"Eh quoi ! fit-il, la figure bouffie de dédain, vous êtes à pied, monsieur Cogolin ?

— Hélas, oui, monsieur de Lanterne, je suis forcé d’aller pedetentin, comme disait mon patron le pédagogue, tandis que vous, peste, il vous faut un carrosse !

— Eh quoi ! reprit Lanterne avec une cruelle insistance, est-ce vous que je vois en si triste équipage, vêtu de guenilles comme un mendiant de la foire Saint-Laurent, et si maigre, si maigre...