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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/311

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roi peut sans danger toucher à Giselle d'Angoulême et au chevalier de Capestang ! » ? Léonora allait tenter ce qu’elle appelait la manœuvre suprême, Léonora allait essayer de tromper Dieu ! Elle jouait avec les astres qui sont le truchement de Dieu, les astres avaient parlé, comme jadis l’oracle de Dodone : elle allait essayer de tricher les astres !

"Salut à l’illustrissime signora, dit le nain après avoir cadenassé la porte.

— Lorenzo, dit Léonora en s’asseyant, sommes-nous bien seuls ?"

Le marchand d’herbes avait tressailli à la vue de sa visiteuse ; il était clair qu’il attendait ou du moins qu’il espérait sa venue, car son œil avait brillé de joie et un demi-sourire avait détendu ses lèvres pâles.

"Seuls ? fit-il. Votre seigneurie n’en doute pas. Seuls ! Ne le suis-je pas toujours ? Je suis à moi-même mon seul parent, mon seul ami, mon seul serviteur. Il n’y a pas d’autre moyen au monde d’échapper à la haine du parent, à la haine de l’ami, à la haine du serviteur. Vous savez comme moi que ces effrayants insectes qui composent l’humanité vivent dans la haine, par la haine, pour la haine."

Et Lorenzo laissa échapper ce petit cri aigre qui lui était habituel.

"Pourquoi me parle-t-il ainsi ? songea Léonora. Ainsi, vous êtes hors de l’humanité ?

— Oui, madame, dit Lorenzo.

— Et vous regardez ?

— Oui, madame : je regarde. C’est ma joie et ma fonction.

— Vous regardez... comme Dieu ?"

Léonora le considérait avec une sorte d’effroi religieux, ce nain, cet avorton de nature qui en voulait à la nature entière, comme parfois il arrive que des rachitiques en veulent à la mère qui les a mis au monde. Lorenzo, cependant, paraissait se plonger dans les sombres spéculations de quelque rêverie effroyable. Léonora, quelques minutes, garda le silence, puis elle reprit :

"Lorenzo, je viens au sujet de ce jeune homme et de cette jeune fille que tu sais."

Le nain tressaillit. Une inquiétude passa sur son front, rapide comme l’ombre projetée d’un nuage.

"Que voulez-vous savoir de plus que ce que je vous ai annoncé ? fit-il froidement.

— Tu m’avais promis de recommencer l’horoscope, murmura Léonora.

— Je l’ai recommencé : toujours même réponse, madame !"

Léonora pâlit. Elle abaissa sur le nain un regard de détresse et de supplication, comme si vraiment il eût été capable de changer le cours de ces étoiles où s’imprime « ce que la nuit des temps renferme dans ses voiles ».

L’astrologue sentait