Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/322

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La plupart des grandes dames accourues à l’invitation de Concini portaient un masque suspendu à leur ceinture. Non seulement il était toléré par la bienséance, mais encore il était imposé par la mode. On le mettait sur le visage, on l’ôtait, selon le caprice. Nul ne pouvait s’étonner de voir une femme masquée pendant toute la soirée s’il lui plaisait de ne pas montrer son visage.

Au moment où les invités se pressaient au délassement, c’est-à-dire à la farce du Capitan rossé, une de ces femmes qui n’avait pas encore retiré son masque de velours rouge, assise au dernier rang de la galerie, vêtue avec une simplicité relative, se sentit touchée au bras par quelqu’un. Elle se retourna et vit une dame également masquée, mais de velours noir, qui lui faisait signe de la suivre.

Pendant toute la soirée, la dame au masque rouge n’avait cessé de suivre les évolutions de Concini, qu’elle ne perdait pas de vue. Sans doute elle reconnut la dame au velours noir, car elle se leva et la suivit.

C’était le moment où, dans son sac, le Capitan recevait une volée de coups de bâton que lui administraient Pulcinello, Arlequin et Pantalon, c’est-à-dire que, dans la grande galerie transformée en salle de spectacle, roulait un tonnerre de rires. Nul ne fit donc attention aux deux femmes qui s’éloignaient, silencieuses, sombres, fatales, l’une avec son masque rouge, l’autre avec son masque noir, pareilles à des anges des ténèbres. Parvenues enfin à une chambre écartée, elles retirèrent leurs masques.

Et alors apparut le visage tragique de Léonora Galigaï. Alors apparut le visage enfiévré de la reine mère.

Marie de Médicis et la Galigaï se regardèrent une minute en silence. Et peut-être les pensées qu’elles lurent l’une chez l’autre leur firent-elles peur, car d’un même mouvement, elles détournèrent la tête. Marie de Médicis avait devant elle la femme de son amant. Léonora Galigaï avait devant elle la maîtresse de son mari. Et toutes deux étaient là poussées par le même amour. Depuis bien longtemps, Marie savait que Léonora savait. Il y avait entre elles une sorte de concordat qui leur permettait de vivre côte à côte sans se haïr et de se regarder sans rougir. Marie avait toujours évité d’approfondir si Léonora était jalouse ou si elle aimait son mari. Léonora, esprit lucide et ferme, n’avait pourtant jamais eu le courage de comparer son amour à celui de Marie.