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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/323

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Ce soir-là, ce soir de fête, en cette minute où les mélodies lointaines leur parvenaient par bouffées, elles démasquèrent leurs âmes comme elles venaient de démasquer leurs visages. Ce fut terrible. Ce fut d’une monstrueuse simplicité, et ce fut d’une tragique impudeur. Cela tint en quelques mots qu’elles échangèrent sans éclat de voix, sans geste, sans oser se regarder en face.

"Léonora, dit Marie de Médicis, je ne puis plus vivre ainsi. Je souffre trop.

— Moi aussi, Maria, je souffre", dit Léonora Galigaï.

C’était la première fois que l’épouse appelait ainsi la maîtresse de nom familier : Maria. La reine n’en fut ni choquée ni étonnée, ou pour mieux dire, elle ne s’en aperçut même pas. Il n’y avait plus là une reine et sa dame d’atours : il y avait deux femmes – et quelles femmes !

"Tu souffres aussi ! reprit la reine. Tu l’aimes donc ?

— Autant que vous pouvez l’aimer, Maria. Seulement cet amour vous fait vivre, vous. Et moi, je meurs du mien. Votre passion occupe votre cœur trop longtemps vide. Ma passion à moi mord, lacère, griffe et broie mon cœur.

— Tu n’es pas jalouse de moi ?

— Non, Maria.

— Pourquoi ? Dis-moi pourquoi, Léonora !

— Parce qu’il ne vous aime pas."

Il y eut une minute d’effroyable silence pendant lequel elles eussent pu entendre leurs cœurs.

"Il ne m’aime pas ! Seigneur, que m’apprends-tu là ? Il ne m’aime pas ! Douce Vierge Marie, sainte patronne de ma vie, que vais-je devenir ? Léonora, répète-moi cette chose terrible. Est-ce vrai ? Est-ce possible ? Sois franche, et je te ferai donner quelque beau bénéfice : n’est-ce pas la jalousie qui te fait parler ainsi ? Et toi ? Est-ce qu’il t’aime ? Dis, oh ! dis, si peu que ce soit, il doit t’aimer.

— Moi, Maria ? Je lui fais horreur. Quant à vous, je me suis mal exprimée. J’ai voulu dire qu’il ne vous aime pas en ce moment.

— Je respire, je renais. Tu as raison. C’est vrai. L’infidèle n’est pas venu me voir depuis plus d’un mois. Léonora, il veut donc que je meure ? Car je ne compte pas la courte et froide visite qu’il me fit, il y a trois jours.

— Vous savez ce qu’il y a entre votre amour et lui. Terrible obstacle, Maria !

— Ah, oui ! Giselle d’Angoulême.

— Oui, Maria. S’il a été malade un mois, c’est parce que je lui avais arraché Giselle. Si vous l’avez revu tout fiévreux de joie, il y a trois jours, c’est parce que je lui ai juré que ce soir il reverrait Giselle.

— Donc, fit la reine, les lèvres crispées, cette fête splendide ?