Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/345

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"Elle m’a dit : « Qui sait ? » J’ai bien entendu qu’elle m’a dit cela : Oh ! lorsqu’elle a parlé de me récompenser, lorsque je lui ai répondu que ni elle ni personne au monde ne peut me donner la récompense que je rêve, elle m’a bien dit : « Qui sait ? » Qui sait ! Est-ce que ma maîtresse aurait deviné l’amour qui me torture ? Est-ce qu’elle aurait donc un moyen de satisfaire ma passion ?"

Il secoua la tête avec désespoir.

"Non ! gronda-t-il. Qui donc au monde pourrait forcer Marion Delorme à avoir pitié de moi ?... Ma maîtresse a voulu se moquer, ou plutôt elle a voulu obtenir de moi une obéissance passive, comme si j’avais jamais résisté à ses ordres ! Marion ! Est-ce qu’elle a seulement remarqué que je l’aime ? Est-ce qu’elle sait seulement si j’existe ? Et lorsque son regard s’est abaissé sur moi du haut de cette fenêtre sous laquelle j’ai passé tant d’heures, est-ce que j’ai pu lui inspirer autre chose que de la moquerie ou de la répulsion, comme à tous, comme à toutes ? Que suis-je ? Un Nubien. C’est-à-dire un être sans pensée, sans cœur, à peine un peu plus que le chien qui rôde dans la cour. Un noir ! Ma peau est noire ! Voilà mon crime. Je n’ai le droit ni d’aimer ni d’être aimé. Bafoué, méprisé, misérable, j’ai été m’aviser d’aimer ! Et d’aimer qui ? La plus belle ! Une grande dame dont la plus humble servante me rirait au nez si je lui disais que, moi aussi, j’ai un cœur d’homme sous ma poitrine noire !"

Deux grosses larmes roulèrent sur ses joues. Au-dessous de lui se jouait l’effroyable tragédie de mort ! De mort par l’Épouvante ! Belphégor n’y songeait pas. Il était entre les mains de Léonora une machine à tuer : il tuait, il n’avait pas de remords, il pleurait sur son amour.

Il s’était comparé au chien. En réalité, il était un peu plus que la machine qui assassinait en ce moment le chevalier de Capestang. Malheureusement pour lui, c’était une machine capable de passion. Cette passion s’était ruée sur lui dès le premier instant où il avait vu Marion Delorme ; une passion frénétique, sauvage, comme peut être la passion de quelque fauve au moment des grands ruts.

À son amour, Belphégor n’avait trouvé qu’un remède : il rôderait jour et nuit autour de l’hôtellerie des Trois-Monarques jusqu’à ce qu’il trouvât une occasion favorable de se jeter sur celle qu’il aimait : morte ou vive, il l’aurait. Et il rêvait à cela des heures entières, les yeux mi-clos. Ce fut à ce moment que Marion disparut tout à coup de l’hôtellerie. Ce jour-là, il sanglota, il hurla, il rugit de douleur ; et comme une fille des cuisines se moquait de lui, il la mordit à l’épaule d’un coup de dents qui l’inonda de sang. Alors Belphégor se dit qu’il chercherait, qu’il fouillerait Paris, qu’il passerait sa vie à la retrouver, s’il fallait. Au bout de trois ou quatre jours, il avait fait son plan de campagne.