Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/348

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Depuis un mois ! Mais parle. Où est le Nubien ? Il va venir ?

— Le Nubien, madame, a été envoyé en voyage par sa maîtresse. Très loin, m’a-t-on assuré. Il est parti depuis un mois. Nul ne sait s’il reviendra, voilà ce que j’ai pu apprendre."

Marion demeura atterrée. Elle avait uniquement compté sur l’amour que Belphégor lui avait clairement exprimé par ses attitudes pendant ses longues stations sous les fenêtres des Trois-Monarques. Belphégor lui manquait : tout le plan qu’elle avait échafaudé dans sa tête s’écroulait : Marion pleura. La soubrette essaya de la consoler en lui prouvant qu’après tout c’était un bien pour madame, qui avait la folie d’aimer un chevalier pauvre comme Job, ce qui pouvait la détourner de ses devoirs vis-à-vis d’un marquis riche comme Crésus.

"Tu ne comprends pas, fit Marion en essuyant ses yeux. Je n’aime plus le chevalier de Capestang.

— Pourquoi pleurez-vous, alors ?

— Parce que ce que j’aime en lui, c’est mon premier amour. N’essaie pas de comprendre. Que faire ? Que penser ? Ou le chevalier a été tué dans cet antre, ou il a été conduit dans quelque prison. Annette, je ne vivrai plus tant que je ne saurai pas la vérité, si affreuse qu’elle puisse être. Si le chevalier a été jeté dans quelque cachot, je l’en tirerai !

— Oh ! madame, si ce malheureux jeune homme est à la Bastille, il sera difficile de l’en tirer.

— Si je veux, reprit Marion avec une volubilité de fièvre, je ferai tomber les tours de la Bastille ! Je ferai ouvrir les cachots ! Je ferai sonder ses oubliettes ! Je te dis que je possède le levier à l’aide duquel une femme comme moi soulèverait un monde.

— Et ce levier ? murmura la soubrette effrayée de l’exaltation de maîtresse.

— C’est ma beauté, Annette. Je ne suis pas folle, rassure-toi. Crois-tu que l’évêque de Luçon soit un personnage puissant ? Crois-tu qu’il m’aime celui-là ?

— Ah ! ah ! C’est vrai, madame. Et à votre place, entre le marquis de Cinq-Mars et le duc de Richelieu...

— Oui, tu commences à comprendre. Crois-tu que si je vais trouver Richelieu, et que je lui demande, en échange de mon amour, de délivrer ce qu’il y a de prisonniers à la Bastille..."

Elle s’interrompit brusquement et, frappant ses mains l’une contre l’autre :

"Mais non ! Je connais Concini : implacable dans ses vengeances ! Mon pauvre chevalier est mort. Et pourtant, je veux le savoir. Tant que je ne saurai pas que c’est fini, il n’y a pas de repos pour moi."

La nuit qui suivit, Marion ne ferma pas l’œil. Elle cherchait sans trouver un moyen de s’introduire dans l’hôtel d’Ancre. Le lendemain matin, elle reprit son poste d’observation à la fenêtre ;