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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/350

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Elle s’approcha d’elle. Au moment où elle l’abordait, elle vit Léonora qui s’arrêtait près d’une dame vêtue assez simplement et masquée de rouge. Léonora prononça quelques mots que Marion n’entendit pas. La dame au masque rouge répondit et, cette fois, Marion entendit, car le masque rouge avait parlé assez haut, soit qu’elle pensât que nul ne comprendrait le sens de ses paroles, soit qu’elle dédaignât toute précaution.

Marion fut agitée d’un tressaillement convulsif, et, sous son masque, devint affreusement pâle. Au lieu de se rapprocher de Léonora, elle passa outre, du pas nonchalant de quelque dame qui cherche aventure. Bientôt, elle se perdit dans la cohue, ripostant aux jeunes seigneurs qui la lutinaient, buvant coup sur coup deux ou trois verres de vin mousseux de la Champagne, ayant l’air de s’amuser beaucoup et, en réalité, promenant son regard ardent sur tous les valets qui faisaient le service.

Sans doute elle trouva enfin la figure qui lui convenait, car s’approchant d’un de ces valets, elle lui ordonna de la suivre et l’entraîna dans une de ces vastes embrasures de fenêtres qui formaient de petites pièces, et dont elle laissa retomber les rideaux derrière elle.

"Mon ami, dit Marion, savez-vous où sont les appartements Mme d’Ancre ?

— Je le sais d’autant mieux, madame, que j’appartiens au service Mme la marquise.

— Très bien, mon ami. Voulez-vous me conduire jusqu’à ces appartements ?

— Volontiers, madame.

— Oui, mais comprenez-moi, il s’agit de m’y faire entrer.

— Oh ! impossible, madame.

— De m’y faire entrer en secret, sans que personne le sache, pas même la marquise.

— Impossible, madame.

— Pourquoi ? Je suis bien sûre que si vous le voulez, vous trouverez moyen de satisfaire mon envie. J’ai ouï dire que Mme d’Ancre possède pour les lèvres un rouge merveilleux, dont elle ne veut donner le secret à personne. Mon ami, introduisez-moi dans la chambre de toilette de votre maîtresse.

— Non, madame ; je serais chassé.

— Eh bien, où est le mal ?

— Le mal, madame ? fit l’homme interloqué. Mais savez-vous bien que je gagne huit cents livres par an, et que j’en mets six cents de côté ? Que j’ai déjà quatre mille livres à moi ? Et que dans dix ans je pourrai donc me retirer avec dix mille livres, acheter une boutique et vivre en bourgeois de Paris ? Ainsi donc, lors même que vous m’offririez dix pistoles, cent pistoles même, comme on me les offrit un jour, je ne trahirai pas les secrets de Mme la marquise."