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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/359

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de cuir pour me serrer le ventre, l’heure ineffable aurait-elle sonné enfin, à l’horloge déréglée de mon estomac, où j’aurai le droit de m’asseoir devant une table étincelante et parfumée de choses dont la seule image me fait venir l’eau à la bouche ? Puisque j’ai trouvé sans le savoir un onguent mirifique, puisque Lureau lui-même déclare que j’en suis l’illustre inventeur, il faut qu’il me donne un bon prix de ma trouvaille. Et s’il ne veut pas s’exécuter, tout au moins m’offrira-t-il à dîner. Corbacque ! comme disait mon ancien maître le sire Capestang ! Eh bonjour, maître Lureau !"

Lureau l’avait aperçu, et, depuis quelques instants, le regardait venir du coin de l’œil.

"Entrez, entrez ! Suivez la foule ! tonitrua l’ex-aubergiste sans paraître remarquer Cogolin.

— Hé ! Ne me reconnaissez-vous pas ? Hé ! maître ! monsieur Lureau ! s’exclamait Cogolin en multipliant les sourires, les œillades – car Lureau représentait la fortune.

— Suivez ! Suivez ! Il y en a pour tout le monde ! Plus de chauves, messieurs !

— Et moi ! fit Cogolin en retirant sa perruque de chanvre. Maître Lureau ! Mon cher monsieur Lureau, ne reconnaissez-vous pas votre bienfaiteur, votre ami Cogolin ?

— Plus de chauves ! rugit Lureau. Entrez ! Suivez ! Suivez !"

Cogolin, désespérant d’attirer sur lui l’attention du superbe Lureau, entra dans la boutique où Mme Lureau souriante, empressée, vêtue à peu près de même que la magicienne Catachrèsis du tableau extérieur, distribuait les pots d’onguent avec la manière de s’en servir. A peine y fut-il que Mme Lureau, abandonnant sa clientèle, alla à lui :

"Quel magnifique chauve ! s’écria-t-elle. Tenez, monsieur, voici qui vous fera chevelu comme saint Absalon. C’est une livre seulement.

— Mais, madame, balbutia Cogolin effaré.

— Quel chauve ! Jamais on ne vit chauve plus chauve. Quoi ! Pas le plus mince cheveu ! Pas une ombre de poil sur le crâne ! Ah ! peste, je donnerais cent livres pour être chauve à ce point, afin de voir pousser mes cheveux !

— Mais... murmura Cogolin ébahi.

— Quoi ? Que dit-il ? Il n’a pas le sou ! Eh bien, pour vous, mon brave, ce sera pour rien ! (Les acheteurs entrés dans la boutique entouraient curieusement Mme Lureau et Cogolin.) Pour rien ! glapissait Mme Lureau. pour rien ! Regardez, messieurs, voici un brave chauve comme jamais vous n’en vîtes ! Dans huit jours, il aura tellement de cheveux qu’il ne pourra plus passer par cette porte. Allons, brave homme, c’est pour rien !"

En même temps, elle saisissait Cogolin par les épaules, le courbait et le maintenait la tête penchée vers un baquet rempli d’une graisse noire. Un courtaud accouru du fond de l’arrière-boutique,