Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/376

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Capestang fut réduit à recevoir des volées de bois vert, pour vivre ?

— Tiens, c’est vrai. Tu n’es pas bête. Bois ceci, et continue.

— Donc, reprit Cogolin, après avoir vidé le verre que lui tendait le chevalier, je me suis dit qu’il fallait coûte que coûte trouver une autre position dans le monde, et que cette position, je la trouverais avec l’argent que me rapporterait la vente des deux chevaux. Je suis donc venu. J’ai parlé de la chose à maître Garo, qui a commencé par me demander cent cinquante livres pour la nourriture des deux bêtes ; puis, il a ajouté qu’il trouverait un acquéreur si je voulais lui laisser la moitié du produit de la vente. J’ai consenti ; il y avait dans la salle un gentilhomme qui se reposait en buvant de l’hydromel. Maître Garo lui a parlé. On a sorti votre cheval de l’écurie et vous savez le reste ; mais, je puis vous le dire, j’étais bien malheureux de vendre le destrier de mon maître, d’autant plus que la vue de M. Fend-l’Air me rappelait plus vivement ce maître que je croyais mort !

"Tu me croyais mort, mon pauvre Cogolin ?

— Oh ! monsieur, pensez-vous que sans cela je me serais permis de vendre votre cheval ?

— Oui, tu as pu t’y tromper, puisque moi-même je me suis cru mort. Mais me voici. Plus de coups de bâton. Cogolin ; plus de comédiens ; tu vas reprendre ton service d’écuyer.

— Ah ! monsieur le chevalier peut croire qu’en ce moment je recevrais volontiers cent coups de bâton tant ma joie est grande de vous retrouver et de reconquérir près de vous l’honorable position que j’occupais !

— Pauvre Cogolin ! fit le chevalier attendri, tu ne me quitteras plus. Mais as-tu donc tant souffert de la misère ?

— La misère, monsieur ? s’écria Cogolin en levant les bras. La faim, la soif, le froid, la chaleur, la fièvre, la rage au ventre, l’enfer au gosier, j’ai connu le fond de la misère, monsieur, j’ai vu à mes trousses tous ces spectres ! Repoussé, hué, malmené, vilipendé, renié même par maître Lureau, que dis-je bafoué même par cet imbécile de Lanterne.

— Lanterne ? interrompit le chevalier, il me semble que j’ai entendu ce nom-là.

— Oui, monsieur ; c’est le valet de confiance de M. le marquis de Cinq-Mars.

— Cinq-Mars ! murmura sourdement le chevalier, qui se sentit tressaillir.

— Voyez à quel point je méritais de m’appeler Laguigne ! continua Cogolin. Un matin, donc, à demi-mort de faim, n’ayant plus que juste la peau sur les os pour ne pas passer pour un squelette, je vais chez Lanterne dans l’espoir de trouver au moins une moitié de dîner, puisque je n’étais plus qu’une moitié d’homme. Fatalité, monsieur : je tombe juste au moment où Lanterne montait à cheval : il partait pour rejoindre, à Orléans, le marquis et la