Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/382

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ses cheveux hérissés ; pas un atome de son être qui ne fût un monde de fureur ; et c’était cela qui l’avait rendu fou, ces mots du spadassin : « Tirons sa tête au sort ! » Sans ces mots, il fût passé et eût fui. L’exorbitante vision du fou furieux déchaîné, pendant deux minutes à peine, fut éclairée par la lampe fumeuse. Le sang giclait. Des coups sourds. Des bruits mous de crânes défoncés. Des hurlements de gens qui meurent dans une suprême imprécation. Le fou furieux bondissait, se baissait, se relevait, frappait, mort-diable ! quels horions ! quels coups ! quelle rescousse ! Dans le formidable bruit des plaintes, des jurons apocalyptiques, dans la lueur des yeux flamboyants qui éclairaient la scène mieux que la lampe, avant qu’ils eussent sorti poignards ou épées, avant qu’ils fussent en garde, deux encore tombèrent, deux des assassins racolés ouvrirent la fenêtre, sautèrent et s’enfuirent.

"Ma tête ! rugit le fou. Ma tête ! (et il râlait) qui veut porter ma tête ? Vos têtes ! Il me les faut !"

Il y en avait qui rampaient dans le sang, qui tâchaient de le mordre ou de le poignarder par-derrière ; il les écrasait d’un coup de botte ; les trois derniers valides, Pontraille, Montreval et Louvignac, livides de peur, acculés tous trois à un angle, saisis au cœur, à la gorge, à la nuque par la terreur, frappés du vertige de l’épouvante, le regardaient avec des yeux fous. Il s’arrêta, regarda autour de lui, leva très haut sa rapière et, dans le silence terrible où palpitait la mort, il eut un grand cri tragique :

"Qui veut la tête du Capitan ?"

Il vit alors les trois qui restaient. Il marcha sur eux. Ils virent la Mort. Ils n’eussent eu qu’un geste à faire pour le tuer ; mais, ce geste, ils ne le firent pas ; l’épouvante les transportait dans le domaine de l’impossible ; il leur apparut qu’il était impossible de tuer cet homme ; que les épées se briseraient comme verre rien qu’en le touchant.

"Je me rends ! dit Louvignac en jetant son épée.

— Ne me touche pas, épargne-moi ! dit Pontraille en jetant son épée.

— Donne-moi vie sauve !" dit Montreval en jetant son épée.

Ils étaient blêmes ; ils grelottaient ; ils allaient tomber à genoux. A ce moment, une cloche, dans la nuit, se mit à mugir. L’hôte, accouru à l’effroyable tumulte, avait vu la prodigieuse vision, et il faisait sonner le tocsin. Capestang n’avait pas une égratignure, pas une déchirure ; sa folie tombait ; il essuya sa rapière rouge et humide ; il la rengaina ; il alla ouvrir la porte et il gronda :

"Allez-vous-en !"

Ils se glissèrent le long des murs pour être loin de lui le plus possible ; la porte franchie, ils se mirent à courir à bonds désordonnés, et le hurlement de leur épouvante se perdit au loin dans la nuit. Capestang sortit. L’hôtesse, sur son