Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/381

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ou deux. De ce récit montait une formidable griserie de meurtre. Cela sentait la mort dans cette salle basse. Le vin des brocs, c’était du sang. Ils avaient des têtes de carnassiers, des physionomies convulsées. Mais tout à coup onze heures sonnèrent !

"Attention ! grogna Louvignac. Ne le manquons pas, cette fois. Là-haut, par cet escalier, la troisième porte à droite dans le corridor. Quatre demeurent au bout du couloir et assomment tout ce qui veut intervenir. Quatre pour maintenir l’hôte, les domestiques et tels passagers qu’attirerait le bruit, c’est assez, et même la milice bourgeoise, fussent-ils cent ! Quatre pour les contenir, c’est assez ! Les huit autres pour le Capitan."

Ils frémirent. De sourds jurons coururent autour de la table.

"Nous défonçons la porte à coups de hache ; voici les haches, là dans ce coin ; nous entrons à huit, nous piquons droit au lit, et en avant, poignards, épées, nous le lardons, nous l’assommons, nous l’éventrons, nous l’étripons.

— Mort-diable ! – Cornes d’enfer ! – Sang de Dieu !"

Des rugissements. Des haleines rudes de mufles qui reniflent du sang.

"Un instant ! grogna l’un, en vidant un broc. Je veux son cœur. Messieurs, qui touche à son cœur aura affaire à moi.

— Moi, son foie pour le faire manger à mes chiens.

— Moi, ses tripes pour les pendre à l’arçon de ma selle.

— La tête ! Qui de nous portera la tête à Concini ?

— Moi ! – Moi ! – Moi ! – Moi !"

Tous voulaient porter la tête. Ils étaient tous debout, leurs mufles ardents l’un près de l’autre, se mesurant, se menaçant.

"Tirons au sort à qui portera la tête !" dit Chalabre.

Tout à coup, dans cette seconde, le tonnerre tomba sur eux. La porte fut enfoncée d’un coup de pied. Dans le même instant, trois hommes tombèrent assommés, l’un d’un coup de pommeau d’épée, les deux autres à coups de broc ; presque aussitôt Chalabre s’affaissa, la gorge ouverte. La table se renversa ; cela s’était fait en coup de tonnerre ; et les huit sur douze qui restaient debout, après trois ou quatre secondes passées étaient encore stupides comme on l’est quand on subit le contre-choc du tonnerre ; un bras se leva ; l’éclair de la foudre jeta sa lueur ; le poignard s’abattit ; encore un homme par terre ! Alors les sept, tous ensemble, poussèrent une clameur sauvage. Capestang, au milieu d’eux, répondit par un rugissement de lion ; le coup de gueule des grands fauves qui viennent aux chasseurs, naseaux frémissants, œil rouge, nerfs et muscles tendus à se rompre.

"Ma tête ! qui veut porter ma tête ?"

Ce n’était plus une voix humaine, mais ils comprirent le sens du rugissement ; il était fou ; il était effrayant de rage furieuse ; ses yeux exorbités brûlaient ; son haleine brûlait ;