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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/413

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"Avant-hier, commença Richelieu sans autre préambule, je vous ai offert un million, c’est-à-dire une fortune que la reine de France ne possède pas dans son coffre particulier. J’y ai joint l’offre de vous acheter un hôtel dans Paris, de le monter sur un pied princier, et de vous rendre aussi propriétaire d’une maison que je possède aux environs de Paris. À ces avantages divers, j’ai joint l’offre d’autant de bijoux précieux que vous en pourriez désirer..."

Marion éclata de rire.

"Oui ! dit froidement Richelieu. Voilà quelle fut votre réponse : un éclat de rire.

— Pardonnez-moi, monsieur l’évêque, dit-elle en riant toujours - et c’était héroïque, ce rire, car elle tremblait dans son cœur - mais vous vous exprimez comme un tabellion. Ce n’est pas une déclaration d’amour, cela, c’est un inventaire !"

Richelieu changea de couleur. Le grand seigneur qu’il était connut l’humiliation. Sa figure prit une sinistre expression de cruauté.

"Daignez donc vous asseoir, monseigneur, fit Marion, câline. Non ? Eh bien, alors, permettez que j’offense en vous la majesté divine que vous représentez si bien, et que je demeure assise, alors que mon pasteur est debout !"

Et elle se laissa nonchalamment tomber dans un fauteuil.

"Hier, reprit Richelieu, je vous ai prévenue que vous étiez impliquée dans une accusation de complot contre la sûreté de l’État. Toutes les preuves sont rassemblées dans ma main. Je vous ai dit qu’il est nécessaire, au temps où nous vivons, de frapper l’esprit public par des exemples d’impitoyable justice, et que ni votre sexe, ni votre jeunesse, ni votre beauté ne pourraient vous sauver du châtiment..."

Marion interrompit par un sonore éclat de rire.

"Oui ! grinça Richelieu. C’est encore par votre rire maudit que vous m’avez répondu.

— Mais c’est qu’aussi, tenez, pardonnez-moi et laissez-moi rire, vous parlez comme un juge, et ce n’est pas une déclaration d’amour, cela, c’est un réquisitoire !"

Richelieu sentit l’ulcère de la rage se développer dans son cœur.

"Voyons, monseigneur. Avant-hier, nous faisions un inventaire ; hier, un réquisitoire. Aujourd’hui, que vais-je entendre ?"

Richelieu se redressa. Il étendit la main comme un tigre lève sa griffe.

"Vous avez raison, dit-il. Aujourd’hui, je ne serai ni le tabellion, ni le juge.

— Le bourreau, alors ?"

Le mot cingla. Richelieu eut un pas de recul. Une seconde, il baissa la tête. Quand il la releva, cette tête était effrayante.