Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/417

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Oh ! peccato ! quel dommage ! dit Marie de Médicis du même ton que si elle eût dit : « Voilà qui m’est bien égal » : Adieu donc, sire. J’emmène la jeune reine."

Et Marie de Médicis sortit, le teint plus animé, la démarche plus vive : elle n’avait eu pour son fils ni un mot ni un regard maternel... La fête à laquelle elle courait remplissait sa cervelle, son cœur et son âme. Richelieu n’avait perdu de toute cette scène intime ni une intonation, ni un geste. Louis XIII avait poussé un soupir, puis se jetant dans son grand fauteuil :

"Il était donc une fois, monsieur l’évêque ?

— Il était, sire, un berger à qui l’on vint dire qu’un lion rôdait dans la montagne et menaçait son troupeau : « Prends ta houlette, bon berger, et attaque ce lion ! » Un autre ajouta : « Prends ton arc et tes flèches, et abats-le ! » Un troisième ajouta : « Voici son antre, là-bas, au pied de ce rocher ; tu n’as qu’à murer l’entrée de la caverne. » Le berger écouta les donneurs de conseils mais, comme il voulait sauver son troupeau, il n’en fit qu’à sa tête. Il attendit que le lion fût endormi et, pénétrant dans son antre, lui coupa une de ses griffes. Le lion ne dormait pas ; il vit très bien le berger faire courageusement sa besogne. Mais c’était si peu de chose, une griffe, une seule griffe coupée, que le lion se contenta de rire en lui-même. Le lendemain, le berger revint et coupa encore une griffe, une seule. Et le lion ne s’inquiétait toujours pas : une griffe de plus ou de moins ! Bref, sire, ce manège dura un certain nombre de jours, si bien que le lion s’aperçut un beau jour que le berger lui coupait sa dernière griffe. Alors il se mit à rugir : « Berger, tu seras châtié de ton audace ! » Mais le berger se mit à rire et enchaîna le lion qui, en effet, ne pouvait plus se défendre. Voilà mon apologue, sire !"

Louis XIII eut un sourire et dit doucement :

"Avouez monsieur l’évêque, que votre lion y a vraiment mis de la complaisance !

— Non, sire : de la vanité, voilà tout. Toutes ces bêtes féroces au fond ne sont que des bêtes. M. le duc de Guise est imprenable dans son antre. Mais si vous lui arrachez une griffe, une seule ; il croira faire le brave en feignant d’en rire. Une griffe à la fois, sire, et dans trois mois vous enchaînez le lion. Sire, j’ai l’honneur de vous proposer de faire procéder dès aujourd’hui à l’arrestation de M. de Cinq-Mars.

— Celui qui vient de perdre son père ?

— Oui, sire. C’est une des griffes du lion, une des plus faciles à arracher. C’est à peine si M. de Guise daignera s’en apercevoir. Et, pourtant, Cinq-Mars est une griffe qu’il faut arracher.

— On m’avait dit que Cinq-Mars était plutôt un fidèle d’Angoulême.

— Cinq-Mars n’est ni pour Angoulême ni pour Guise : il est