Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/42

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dont il avait lu l’histoire dans les vieux livres de sa mère, il en était arrivé à une sorte d’emphase qui pouvait faire rire, à une exagération d’attitudes physiques et morales qui souvent le faisaient regarder de travers, comme un vulgaire pourfendeur.

Nous devons ajouter qu’il était rebelle à toute discipline, mais avide d’action héroïque, qu’il employait sa force musculaire au service des plus faibles. Tel qu’il était, il pouvait passer pour une mauvaise tête et un bon cœur lorsque M. de Trémazenc mourut, emporté en quelques jours par une « mauvaise » fièvre, comme on disait alors.

Si rapide qu'eût été l'agonie de M. de Trémazenc, il n'en eut pas moins le temps de lui dire entre deux syncopes :

"Chevalier, vous trouverez là, dans ce coffret, la liste de nos dettes. Je mourrai tranquille si vous me promettez de les payer dès que vous aurez fait fortune."

Le jeune homme jura en pleurant, et M. de Trémazenc mourut en souriant. Dès lors, une révolution s’accomplit dans l’esprit et les mœurs du jeune chevalier. Il conçut une sorte de fierté à se trouver le chef de la maison des Trémazenc, et il commença à éprouver la poussée intérieure d’une âme héroïque. Après avoir convenablement et suffisamment pleuré son digne père, il ouvrit un jour le fameux coffret, et trouva qu’il héritait exactement de vingt-huit mille cinq cents livres de dettes – à payer, avait-il juré, quand il aurait fait fortune.

Le jeune homme médita un mois sur sa situation, sur l’avenir qui l’attendait dans un pays pauvre, loin de tout centre d’activité. Et il résolut alors d'entreprendre une grande chose : faire fortune.

Comment ? Par quels moyens ? Il ne savait pas. Seulement, il convint avec lui-même que Paris était le seul endroit du monde où l'on pût faire fortune. Renonçant donc à l’existence quelque peu débraillée qu’il avait menée jusque-là, il passa une année dans le castel paternel à se perfectionner dans l’escrime et l’équitation et tous les exercices du corps, à lire tous les vieux livres de sa mère, à se fortifier enfin l’âme, l’esprit et le corps.

Au bout de cette année, il rassembla toute la domesticité du castel, qui consistait en un unique vieux serviteur, et lui annonça son intention de le licencier.

"Laissez-moi mourir ici, dit le serviteur.

― Mais, malheureux, comment vivras-tu, qui payera tes gages ?

― Des gages ? fit l'homme étonné. Voilà seize ans que je n'en reçois plus. Vous voulez partir, monsieur : je garderai le castel en votre absence. Il y a assez de lapins et de perdrix dans les champs, assez de poules dans la basse-cour, une bonne vache laitière à l’étable, c’est tout ce qu’il me faut comme gages."