Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/43

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Le chevalier, enchanté de pouvoir laisser la maison sous la garde d’un fidèle ami, embrassa le serviteur qui, à cette marque d’affection, pleura de bonheur.

"Ah ! monsieur, dit-il, voilà certes un honneur qui passe les plus beaux gages !"

Capestang, alors, se mit à rassembler les plus beaux meubles du castel, les plus belles tapisseries et enfin quelques diamants qu'avait portés madame de Trémazenc. Il fit venir un marchand et le pria d'estimer le tout. Il y en avait bien pour une cinquantaine de mille livres. Le marchand étala trente-deux mille livres sur la table, et le chevalier fut enthousiasmé. Trois jours plus tard, toutes les vieilles dettes de la maison, y compris l'arriéré des gages du serviteur, étaient payées jusqu'au dernier denier : il restait quatorze cents livres au chevalier.

"Et pourtant, songea-t-il, je n'ai pas encore fait fortune. Dormez content, mon père !"

Capestang paya huit cents livres encore pour avoir un cheval que tout de suite il surnomma Fend-l’Air. Le cheval méritait ce nom. Lorsque le chevalier l’eut essayé en le faisant passer par des obstacles où tout autre se serait rompu les os, il murmura :

"Il lui manque des ailes, c’est vrai, mais il s’en passe !"

Puis il acheva de s'équiper, étudia deux mois les qualités et défauts de Fend-l'Air, et enfin, un beau matin, s’éloigna du castel, non sans un battement de cœur. Et même nous devons avouer que, lorsqu’il se retourna une dernière fois pour dire adieu du regard à la vieille tour branlante, il ne put retenir quelques larmes.

Sa première étape le conduisit au castel d’un vieil ami de son père, lequel le garda quelques jours, lui remit une lettre pour le maréchal d’Ancre, à qui il avait eu occasion de rendre quelques services.

Capestang continua donc sa route vers Paris. Monté sur le gigantesque Fend-l’Air, la rapière battant les flancs du cheval, le poing sur la hanche, fier comme Artaban ou comme Galaor, il parcourut les contrées, traversa la France et parvint jusqu’à Longjumeau sans incident, sauf un duel qu’il eut avec un gentilhomme qu’il mit au lit pour six mois, deux ou trois autres querelles de moindre importance qui se terminèrent par de légers coups d’épée, cinq ou six attaques de voleurs de grands chemins qu’il rossa ; sauf, disons-nous, ces quelques rencontres, il arriva sans incident jusqu’au point où nous l’avons trouvé, c’est-à-dire à cette journée étrange où débutait réellement la vie extraordinaire de ce héros dont nous avons assumé la tâche difficile de raconter les faits et gestes, la prodigieuse existence et les aventures presque fabuleuses.

Maintenant, donc, après cette étrange journée, après cette