Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/434

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"Le Capitan !"

Capestang se redressa. Son visage eut un flamboiement de fierté :

"Le Capitan ! Oui, monseigneur. Seulement, prenez garde. Ce n’est pas ici une farce comme chez les comédiens de M. Concini. On dit que vous écrivez des tragédies, monseigneur. Un mot, un seul mot d’insulte, et je deviens votre collaborateur : l’épée du Capitan servira de stylet, et c’est avec du sang que nous écrirons !"

Richelieu ne répondit pas. Si quelque chose au monde eût pu effrayer le Capitan, cette figure de tigre, ces yeux gris d’où jaillissait une flamme funeste, ce rictus de haine qui tordait cette bouche, cet aspect effroyable de l’homme qui veut tuer, eussent fait frissonner l’aventurier et l’eussent fait reculer. Richelieu, les lèvres tremblantes, leva sa main, étendit le bras vers Capestang, avec ce geste que peut avoir le bourreau pour saisir le condamné. Puis, brusquement, il fit un pas vers sa table où se trouvaient un timbre et un marteau. D’un bond, Capestang fut entre la table et Richelieu.

"Monseigneur, dit-il avec une froideur terrible, allez-vous m’obliger à vous tuer ?"

Richelieu jeta sur l’aventurier un regard écrasant.

"Oseriez-vous porter la main sur un évêque ! sur un ministre du roi ! sur un ministre de Dieu !

— Fussiez-vous assis sur le trône du roi, oui, monseigneur, j’oserais !"

Les deux hommes étaient l’un près de l’autre, livides et flamboyants tous deux. Et alors, Capestang eut le même geste que venait d’avoir Richelieu. Seulement, ce geste, il l’acheva ! Et la main du Capitan se posa sur l’épaule de l’évêque ! Richelieu ploya. Son visage convulsé se leva sur celui qui venait d’oser cette chose terrible : porter la main sur lui ! Et ce qu’il vit alors anéantit la révolte de son orgueil. Capestang, tout droit, tout raide, la figure blanche comme cire, des éclairs insoutenables dans les yeux, lui apparut dans une sorte d’effrayante auréole.

"Monseigneur, dit le Capitan d’un accent mortel, vous êtes un ministre du roi, un ministre de Dieu, vous représentez tout ce que les hommes respectent et adorent : la puissance humaine et la puissance divine. Paris tremble sous votre regard. On dit que le roi vous considère comme la colonne de fer sur laquelle doit s’appuyer la monarchie. Moi, monsieur, je ne suis rien ou peu de chose. Que serai-je demain ? Peut-être un prisonnier attendant la mort libératrice au fond de l’oubliette où vous l’aurez fait jeter. Peut-être un cadavre songeant dans son cercueil au coup de hache qui trancha sa tête, si toutefois les morts pensent. Voilà donc ce que je serai bientôt. Mais vous, monsieur, qu’allez-vous être, si ce qu’on dit de vous se réalise ? Plus près du trône que M. d’Ancre lui-même, ce qui vous attend, c’est la toute-puissance.