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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/435

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Vous allez être celui devant qui tout se tait et se courbe. À vous voir, il me semble bien que vous êtes un de ces hommes dont chaque pensée est un monde de volonté. Vous serez celui qui domine. Et moi, monsieur, moi qui ne suis rien, il me vient à l’idée que je puis d’un geste, anéantir tout cet orgueil, tout ce despotisme, toute cette puissance de demain et d’aujourd’hui ! Ce geste, je puis le faire ! (Capestang tira son poignard.) Avant que vous ayez poussé un cri d’appel, avant qu’un seul de vos serviteurs ait franchi cette porte, je puis vous étendre mort à mes pieds. (Capestang plaça la pointe du poignard sur la gorge de Richelieu.) Or, je vous propose tout simplement un pacte : je vous laisse vivre - et vous, monsieur, en échange de la vie, c’est-à-dire de la toute-puissance, vous me rendez Marion Delorme !"

À ce moment, Capestang lâcha Richelieu et se recula d’un pas, comme si, par une suprême bravade, il eût voulu le laisser libre de tenter un mouvement de fuite, libre d’appeler, ou libre de réfléchir. Richelieu, lentement, tourna la tête. Il était pâle comme si déjà la Mort fût entrée dans cette chambre. Mais ce n’était pas à cette mort possible que songeait le duc de Richelieu ! Le nom même de Marion Delorme brusquement jeté par Capestang ne l’avait pas fait tressaillir. Ni l’amour, ni la mort n’occupaient cette pensée. Richelieu souffrait atrocement. Mais c’était son orgueil qui saignait.

Oui ! Il était vraiment le tigre pris au piège. Ses yeux hagards se portèrent de nouveau sur Capestang. Ils se regardèrent une minute. Et ce fut une minute inoubliable dans la vie de puissance de Richelieu, dans la vie d’aventures du Capitan !

"Vaincu ! râla enfin le ministre en lui-même. Vaincu par ce moucheron !"

Capestang se tenait immobile. Pas un pli de sa physionomie ne bougeait. Et c’était la formidable immobilité de l’être prêt à bondir, prêt à tuer.

"Si je fais un mouvement, songea Richelieu, si j’ouvre la bouche pour crier, adieu rêves de grandeur et d’omnipotence !... Vaincu ! Je suis vaincu !"

Et alors, ses traits se détendirent. Il baissa la tête. Deux larmes, les seules peut-être qu’il eût versées dans sa vie, ces larmes brûlantes que l’humiliation seule sait distiller, glissèrent et s’évaporèrent aussitôt au feu de ses joues.

"Venez !" murmura-t-il.

Capestang saisit le poignet de l’évêque. Il le regarda un instant dans les yeux et dit sourdement :

"Monseigneur, vous venez de me condamner à mort. J’ai lu cela dans votre regard. Je pourrais assurer mon existence en supprimant le juge. Eh bien, laissez-moi vous le dire : je ne vous crains pas ! Seulement, écoutez bien ceci : une erreur de votre part dans la démarche grave que vous allez faire, un geste de trop, une parole trop haute, et nous mourons tous