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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/441

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n’eusse pas tardé à m’apercevoir qu’elle était folle. Je l’installai donc dans une de mes chambres d’en haut, où je n’ai pas manqué un seul jour de lui monter tout ce dont elle peut avoir besoin. Tous les jours, elle sort à la même heure, disant qu’elle se rend au Louvre pour porter sa plainte au roi et implorer sa pitié. Chaque fois, elle rentre plus triste. Qui est-elle ? Je l’ignore. Une grande dame, à coup sûr. Seulement, je suis forcée d’ajouter que je ne pourrai la garder longtemps encore, vu que sa dépense est payée jusqu’ici par un pauvre bijou qu’elle m’a donné. (Ce pauvre bijou était une belle chaîne en or que dame Léonarde avait effrontément saisi en gage.) Mais je ne suis pas riche, et il faut vivre.

— C’est bien, dit Lorenzo. Vous ne savez pas autre chose ?

— Je le jure sur la Vierge et les saints.

— Bon. Écoutez-moi, maintenant. Vous garderez cette infortunée autant qu’il lui conviendra d’honorer votre auberge de sa présence. Je me charge de toute la dépense. De plus, lorsqu’elle sortira, vous la ferez suivre par un de vos garçons, soit pour la protéger, soit pour la guider si elle s’égare. Sachez que c’est une très haute dame, et que vous serez largement récompensée de vos bons soins.

— C’est bien là-dessus que j’ai toujours compté", grommela dame Léonarde en elle-même.

Et elle se répandit en protestations de dévouement, que Lorenzo interrompit par l’octroi d’une nouvelle pièce d’or, sur laquelle la cabaretière jugea inutile de renouveler l’épreuve de la croix.


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Lorenzo, rentré chez lui tout pensif, se mit à songer...

La fille est aux mains de Léonora. La mère se meurt de chagrin. Le chevalier de Capestang, le seul qui pourrait les protéger par sa bravoure étrange, est également prisonnier. Le père est à la Bastille. Désastres dont je suis la cause initiale ! D’où vient que mon cœur s’est ému de pitié, que je veux de toute ma volonté les sauver tous ? Est-ce simplement parce que la duchesse d’Angoulême a eu pitié de moi à Orléans, et qu’elle m’a sauvé ? Non ! il y a donc hors de moi une volonté plus puissante que la mienne, et qui me force à vouloir la réparation du mal que j’ai fait à Orléans ? Quelle est cette volonté ? Une fatalité inconnue a fait de moi le sauveur de Giselle, puis de Capestang ! Et c’est là, je le sens, l’événement capital de ma vie. C’est cette même fatalité qui me pousse à les sauver tous. C’est cette même fatalité qui vient de me remettre en présence de la duchesse d’Angoulême. Les sauver ! Oui, mais comment ? J’ai inspiré à Léonora une terreur suffisante pour l’obliger à respecter la vie de Giselle et du chevalier. Mais comment les faire libres ?

À ce moment, il entendit frapper à sa porte d’une façon spéciale qu’il avait convenue avec certains de ses mystérieux clients. Il