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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/45

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d'Italie. Mais je connais Paris. Et il ne sera pas dit que j'aurais laissé un charmant compagnon comme vous dans l'embarras. D'autant que je me dirige tout droit à l'hôtel de M. le maréchal d'Ancre..."

De sourdes huées montèrent du rassemblement. Capestang tressaillit.

"Venez donc, acheva Rinaldo, oubliez les propos aigres-doux que nous venons d'échanger, et me suivez malgré l'accent.

― Eh ! monsieur, fit le chevalier enchanté au fond de trouver un guide, gardons chacun notre accent. L’accent ! Mais c’est la physionomie de la parole ! Vous avez votre manière de dire : « Per bacco. » J’ai ma manière de dire : « Corbacque. » Et c’est fort bien. Et qu’est-ce qu’une langue sans accent ? Un visage sans nez, une prononciation eunuque, un verbe sans domicile. Laissez-moi donc être provincial tout mon soûl ; et, vous, monsieur, soyez Parisien, je veux dire étrusque ou lucquois, soyez-le comme vous l’êtes, de la plume aux éperons, de la parole au geste, de l’esprit au cœur.

Briccone !" grommela Rinaldo, tout étourdi de ce babil exubérant ponctué d’une grêle de gestes.

Cependant, il eut un dernier geste d'invitation, et les deux cavaliers, botte à botte, se mirent en chemin, poursuivis de loin par des cris dont notre aventurier ne pouvait comprendre le sens, mais que le familier de Concini entendait de la bonne oreille, car il passa au trot.

La traversée de Paris se fit rapidement. Rinaldo frémissait et souriait. Ce sourire eût paru sinistre au chevalier si celui-ci, oubliant presque son compagnon, n’eût été très occupé à adopter un maintien capable de donner aux badauds une haute opinion de sa personne. Car notre héros, étant jeune, brave et bien fait, ne laissait pas que d’être assez glorieux. Il exagérait donc la fierté naturelle de son attitude, et trottait, la plume au vent, le poing droit sur la hanche, regardant Paris en homme qui en a vu bien d’autres, et se disant :

"Tiens-toi, Capestang. Paris te regarde."

Telle fut l’entrée d'Adhémar de Trémazenc, chevalier de Capestang, dans la bonne ville de Paris.

Or, comme ils débouchaient dans la rue de Tournon, un groupe de peuple la descendait, avec des figures menaçantes, des murmures semblables à ceux des vents précurseurs d’orage. Dans ce groupe farouche, à la vue de Rinaldo, il y eut un brusque silence, puis, tout à coup, un grondement.

"Mort aux affameurs !

― Poussons ! fit Rinaldo en pâlissant.

― C'est plus facile à dire qu'à faire, à moins d'écraser chacun notre demi-douzaine de ces pauvres diables. Mais à qui en ont-ils ?

Corpo di Cristo ! On écrase, mais on passe ! rugit Rinaldo. Place, place !"