Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/477

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qu’il veuille mourir pour elle. Seulement, elle s’approche encore du Nubien, lui met la main sur l’épaule et demande :

"Qu’as-tu fait de l’homme et de la jeune fille ?

— Je les ai délivrés", répond Belphégor.

Léonora, cette fois, éprouve comme une vague émotion. Cet aveu simple et terrible, alors qu’elle s’attendait à des mensonges, à des récits compliqués, la frappe d’un émoi superstitieux.

"Tu les as délivrés ! balbutia-t-elle. Et pourquoi ?

— Parce qu’une voix m’en a donné l’ordre ! répond Belphégor de ce même ton morne et indifférent.

— Une voix ! tressaille Léonora... Une voix ! reprend-elle dans sa pensée. Est-ce la voix qui inspire Lorenzo ? Est-ce la voix des volontés supérieures avec lesquelles j’ai essayé de ruser, moi, infime créature terrestre ? Une voix, Belphégor ! Quelle est cette voix qui t’a poussé à me désobéir, à me causer peut-être un préjudice mortel, toi qui voudrais sincèrement mourir pour moi ?

— Une voix, maîtresse ! C’est tout ce que je puis dire, quand même vous me feriez mettre à la torture, quand même vous me feriez attacher à la planche de fer..."

Une minute, Léonora demeure sombre et méditative. Elle est sûre que le Nubien n’a pas voulu la trahir, qu’il a été un instrument inconscient de la délivrance. Elle secoue la tête et murmure :

"Lorenzo ! Lorenzo ! Ta science est infaillible !..."

À ce moment, Belphégor reprit :

"Si je ne puis vous dire quelle voix m’a ordonné de les délivrer, je puis vous dire ce que sont devenus l’homme et la jeune fille qui devaient mourir..."

Léonora jette un cri terrible ; elle saisit Belphégor par les deux poignets et, pâle :

"Parle ! Et je te pardonne tout ! Et je t’enrichis !

— Je n’ai pas besoin de richesses, dit Belphégor en secouant la tête. Mais je suis content que vous me pardonniez. La voix m’a ordonné de les délivrer, mais non autre chose. Et puis... et puis, ajoute-t-il avec un sanglot, si en parlant je puis me venger d’avoir été cruellement bafoué... Non ! ne songeons plus à cela !... La jeune fille, maîtresse, vous la trouverez à l’auberge de la Pie-Voleuse, à Meudon."

À ce moment, il y eut un léger bruit à la porte. Mais ce bruit, Léonora ne l’entendit pas. Son âme était suspendue aux lèvres du Nubien. Belphégor avait entendu, lui ! Il tourne la tête, avec un regard d’inquiétude, vers la porte.

"Et l’homme ! râla Léonora. Le chevalier de Capestang !..."

Belphégor baisse la voix et répond :

"Il a quitté Paris, puis il est revenu ; je l’ai rencontré un jour rue des Lombards, et je l’ai suivi. Il habite rue de Vaugirard, à la Bonne-Encontre."

Léonora se couvre le visage de ses mains, comme si elle était éblouie. Lorsqu’elle laisse retomber ses bras, ce visage apparaît