Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/517

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fond que Léonora tira une épaisse liasse de papier qu’elle déposa sur la table. Elle prit place dans le fauteuil.

Une minute, elle demeura les yeux fermés ; une de ses mains crispées étreignait son front ; sa bouche prenait le pli de l’amertume ; et, ainsi posée dans cette attitude, drapée dans ses vêtements noirs, elle eût pu figurer aux yeux d’un peintre ou d’un poète le génie de l’angoisse.

Lorenzo avait trahi, c’était sûr. Le roi savait quelque chose, c’était sûr. L’arrestation de Concini était imminente, c’était sûr. Léonora regarda en face la tourmente et la défia. Sa courte et terrible méditation se résuma dans ces mots :

"Il faut agir plus vite que Louis XIII, voilà tout ! Avant qu’il ne frappe, il faut le frapper ! Un jour ! Je ne demande qu’un jour - et mon Concino est le maître !"

D’un dernier geste de menace et de défi, elle parut écarter les pensées inutiles, et calme, froide, rapide, sans fièvre, méthodique, se mit à brûler l’un après l’autre les papiers qu’elle prenait dans la liasse et sur chacun desquels elle jetait un simple coup d’œil. La plupart de ces papiers portaient des signatures. Des noms illustres... Il y avait de quoi faire faucher la noblesse de France.

"Jamais ils ne sauront que tout cela est brûlé, songeait Léonora. Or, on tient les hommes non seulement lorsqu’on a une arme contre eux, mais encore lorsqu’ils croient qu’on a cette arme - même si on ne l’a plus."

Ces papiers, c’étaient des actes formels, des contrats ; le signataire s’y engageait, contre telle récompense spécifiée, à aider Concini dans telle entreprise qu’on ne disait pas. Non ! L’entreprise ! Il était impossible de ne pas la voir surgir de ces lignes !

Léonora Galigaï arriva promptement au bout de sa besogne ; il ne lui restait plus que trois papiers. Tous les trois étaient de la main du marchand d’herbes du Pont-au-Change. Le premier contenait une recette et commençait par ces mots :

"Pour être belle..."

Le deuxième parchemin était couvert de signes et de figures géométriques ; en marge, des mots jetés, des phrases inachevées - des explications incomplètes. C’était l’horoscope de Concini ! Et de ce parchemin surgissait la preuve, la terrible preuve. Il y était nettement déclaré que Concini serait roi et qu’il remplacerait sur le trône un Bourbon mort de mort violente. Le dernier parchemin était aussi de l’écriture de Lorenzo. C’était une théorie complète du poison. Le chimiste y développait ce procédé de dédoublement signalé au chapitre XVI de ce récit.

Ainsi donc, dans cette liasse de papiers que Léonora venait de tirer du double fond du placard, trois idées palpitaient en attendant de se muer en événements historiques :

1° L’horoscope indiquant la future royauté de Concini ;