Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/73

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Voilà. Ce matin, donc, à la première heure, je venais de ma chambre à coucher, et monté sur mon escabeau, j’examinais dans le ciel si je devais m’appeler ce jour Laguigne ou Lachance, car je suis quelque peu astrologue, lorsqu’il me sembla entendre des gémissements chez mon voisin, c’est-à-dire chez l’illustre maréchal d’Ancre. J’écoutai de toutes mes oreilles, et monsieur peut s’assurer qu’elles sont de taille convenable. Mais, n’entendant que la même plainte monotone, j’allais me retirer, après avoir décidé, vu la pluie torrentielle, de m’appeler Laguigne, lorsque j’entendis mon nom prononcé, me sembla-t-il dans le lieu même d’où partaient les gémissements. « Hein ? » m’écriai-je. Et je restai à mon poste. Peu après, je vis le toit se crever comme sous l’effort d’une catapulte intérieure, et une tête apparut : c’était la vôtre, monsieur. Vous me fîtes l’honneur de me raconter vos malheurs, je pris la résolution de vous tirer de votre cachot aérien, j’attendis la nuit pour agir, et vous savez le reste.

— Et tu m'as bel et bien sauvé, dit Capestang. Merci, mon brave Laguigne. Mais quelle magnifique chevelure tu as !

— Pardon, monsieur, rectifia l’homme qui rougit un peu et ne releva pas cet éloge décerné à ses cheveux. Comme j’ai eu l’honneur de vous sauver, j’ai résolu de m’appeler Lachance maintenant.

— Écoute, dit Capestang, si nous devons passer ensemble quelques jours ou quelques heures, fais-moi le plaisir de m’informer d’avance du nom que tu portes, c’est-à-dire de celui que tu choisis, afin que je ne risque pas de t’humilier en t’appelant Laguigne quand tu dois te nommer Lachance, ou de t’enorgueillir en te nommant Lachance quand tu t’appelles Laguigne."

L'homme réfléchit un moment, puis il dit :

"Monsieur, je vais vous dire : je m'appelle Cogolin.

— Cogolin maintenant ! Pourquoi Cogolin ? fit le chevalier exaspéré.

— Ce n’est pas ma faute, monsieur. On s’appelle ainsi dans ma famille de père en fils.

— Tu as décidément trop de noms !

— Mais je n'ai qu'un cœur, dit Cogolin, et je sens qu'il vous est attaché, comme je vous le disais, à la vie à la mort."

Capestang attendri cessa de gesticuler. Sa mauvaise humeur se dissipa. Car il y a des gens que la fièvre abat et terrasse. Il en est d’autres qu’elle rend furieux. Capestang était de ces derniers.

— Cogolin, dit-il, tu es un honnête homme. Mais, dis-moi, que fais-tu dans la vie ?

— Je cherche fortune, mon gentilhomme. C’est pour cela que je m’appelle tantôt Laguigne et tantôt Lachance, selon que cette fortune que je cherche semble s’approcher ou s’écarter de moi.