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Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/74

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En attendant, j’emploie mes dix doigts et l’intelligence que le ciel m’a départie du mieux que je peux pour assurer ma pitance au moins un jour sur deux. Courir après la balle perdue dans les jeux de paume et la rapporter au joueur, ouvrir la porte du cabaret renommé aux gentilshommes qui viennent s’y reposer, aider le charretier embourbé à sortir de l’ornière, tourner la broche dans telles rôtisseries, porter les billets doux de telles dames galantes, tantôt récompensé par l’amant, tantôt bâtonné par le mari, bref sortir le matin, regarder d’où vient le vent, et me mettre en quête du métier que j’exercerai pour un jour ou une heure, voilà ce que je fais dans la vie. Cela s’appelle chercher fortune, monsieur.

— Oui-da ! Eh bien ! Cogolin, figure-toi que moi aussi je suis venu chercher fortune !

— Vous trouverez, monsieur. Je vois cela à l'air de votre visage, à votre tournure, et puis, enfin, j'ai été autrefois au service d'un astrologue, ce qui fait que, à force de nettoyer les lunettes de mon maître, j'ai appris à m'en servir."

Cependant, Cogolin, avec une activité et une adresse de chirurgien, s’était mis à panser les blessures du chevalier au moyen de certain onguent qu’il venait de prendre sur une tablette, et comme Capestang s’étonnait de cette adresse :

"Monsieur, dit Cogolin, en sortant de chez l’astrologue, je suis entré en service chez un apothicaire qui a fini par me mettre à la porte parce que sa femme me faisait les yeux doux. Mais, pour ne pas m’en aller les mains vides, en disant un éternel adieu à l’apothicaire mâle et à l’apothicaire femelle, j’ai emporté un certain nombre de flacons, et petites boîtes d’onguents, ainsi que divers médicaments sucrés que j’ai absorbés un jour que j’avais faim, en suite de quoi j’ai été malade huit jours. Quant aux onguents, j’ai essayé aussi de les manger, mais il n’y a pas eu moyen, et bien m’en a pris puisque cela me permet de panser vos blessures. C’est fait, monsieur. Si vous le désirez, je vous cède ma chambre à coucher pour vous reposer cette nuit."

Capestang, la tête affaiblie par la perte de son sang, le front lourd par la suite du flacon de vin qu'il venait de vider, se glissa dans le coffre, dont le foin lui produisit l'effet du plus moelleux matelas. Il s'endormit d'un profond sommeil.

Lorsqu'il se réveilla le lendemain au grand jour, il trouva que la fièvre avait disparu, qu'il pouvait se pouvoir et marcher sans trop faire la grimace, et qu'il avait grand appétit.

"Cogolin, dit-il, je te prends à mon service. Tu me plais. Acceptes-tu ?

— Si j'accepte ? Mais c'est la fortune, monsieur ! Surtout après l’astrologue et l’apothicaire !

— Bon ! je t'indiquerai ton service. Pour le moment prends cinq ou six pistoles.