Page:Zévaco - Le Capitan, 1926.djvu/93

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— Belphégor !" hurla Concini.

Giselle entendit comme en rêve un pas rapide, et l’instant d’après, vit se dresser dans l’encadrement de la porte le Nubien, qui apparut semblable au démon dont il portait le nom.

"Belphégor, gronda Concini, tandis que son regard sanglant surveillait Giselle, tu vas monter là-haut..."

Giselle se sentit devenir folle. Elle eut la foudroyante intuition que quelque chose allait se passer, qui dépasserait les limites de l’horreur.

"Oui, maître ! dit Belphégor.

— Tu t'arrêteras devant la porte, continua Concini, d'une voix hachée, et tu attendras que je te crie : "Va !"

— Oui, maître !

— Et quand j'aurai crié : "Va !" tu entreras..."

Une sorte de gémissement funèbre, atrocement triste, s’éleva ; et Concini vit Giselle qui s’abattait sur ses genoux, les yeux hagards, les traits décomposés par l’épouvante. Il sourit et il continua :

"Alors, tu saisiras la femme, tu entends ? tu la saisiras par les cheveux... d’un seul coup de ton cimeterre, comme on fait aux condamnés en ton pays, tu feras voler sa tête, tu entends ? et cette tête... eh bien ! cette tête... tu l’apporteras ici, et tu la remettras à cette fille que voici !"

Une clameur effrayante jaillit des lèvres de Giselle.

Elle se releva d’un violent effort de tout son être et s’élança, ou du moins, voulut s’élancer, crut s’élancer vers Concini et Belphégor. En réalité, elle demeura rivée à sa place, les yeux exorbités, le cerveau chaviré dans l’horreur, impuissante à marcher, impuissante à réfréner la plainte funèbre qui fusait de ses lèvres. Belphégor avait disparu ! Belphégor montait vers l’étage supérieur ! Concini essuya la sueur glacée qui ruisselait sur son visage. Il marcha sur Giselle. Sans la toucher, il se pencha sur elle.

"Eh bien, que décides-tu ? Dis ? Parle ! Ou bien, fais un geste ! Es-tu mienne ? Ton père vit, ta mère vit, tu es princesse ! Quoi ? Que dis-tu ? Tu te refuses ? Tu assassines donc ton père et ta mère ! C’est toi, c’est toi seule qui les frappes ! Dans une minute, tu pourras demander pardon à la tête sanglante de ta mère !"

Elle se sentait mourir. Elle ne savait plus où elle était, ni qui était cet homme, ni ce qu'il voulait. Dans le vertige d’épouvante surhumaine, elle luttait contre une abominable, une infernale vision. Et c’était le Nubien qui jetait à ses pieds une tête exsangue. Brusquement, elle tomba tout d’une pièce, toute raide les yeux fermés, sans connaissance. Et chose affreuse, de ses yeux clos, de ses yeux d’agonisante privée de tout sentiment, les larmes alors se mirent à jaillir, des larmes silencieuses qui roulaient une à une sur les joues