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Page:Zévaco - Les Pardaillan - L'épopée d'amour, 1926.djvu/31

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d’épais rideaux en cuir, soigneusement tirés, protégeaient contre tout regard qui fût parvenu à percer les vitraux.

Ruggieri alluma deux flambeaux de cire, et la salle apparut alors.

Tout le panneau du fond était occupé par le manteau d’une cheminée assez vaste pour former à elle seule comme une pièce distincte. Sous ce manteau deux larges fourneaux étaient dressés : à chacun d’eux, aboutissait le bout d’un soufflet de forge. Ils étaient encombrés de creusets de différente grandeurs. Cinq ou six tables placées ça et là supportaient des cornues de toutes tailles. Sur un plancher, une collection de maques en verre ou en treillis d’acier.

Sur un signe de Catherine, Ruggieri ouvrit une vitrine au moyen de la clef qu’il portait suspendu à son cou, sous son pourpoint.

Catherine se pencha, et murmura :

"Choisissons !… Qu’est-ce que cette aiguille, René, cette jolie aiguille d’or ?…"

René s’était penché, lui aussi. Leurs deux têtes se touchaient presque.

Celle de Catherine, à ce moment, était hideuse, parce qu’elle riait. Au repos, la tête de la reine présentait un caractère de sombre mélancolie qui n’allait pas sans grandeur. Quand elle souriait, elle parvenait à être gracieuse comme au temps de sa jeunesse où son sourire avait été chanté pa tous les poètes. Mais elle riait d’une certaine façon, elle devenait effrayante.

Quant à Ruggieri, il n’y avait plus ni douleur ni inquiétude sur son visage, où éclatait le sauvage orgueil du savant qui contemple son œuvre.

"Cette aiguille ? dit-il avec un sourire d’affreuse modestie. Cueillez un fruit madame, par exemple une belle pêche bien mûre et dorée ; enfoncez cette aiguille dans sa chair savoureuse ; voyez, l’aiguille est si mince qu’il sera impossible d’apercevoir la trace de son passage dans le fruit. D’ailleurs, le fruit n’en sera nullement gâté. Seulement, la personne qui aura mangé cette pêche sera prise, dans la journée, de nausées et de vertiges ; le soir, elle sera morte.

— Ah ! Ah !… Et ce liquide épais dans ce flacon, ce liquide qui ressemble à de l’huile ?

— C’est, en effet, de l’huile, madame. Si, lorsqu’on prépare la veilleuse de Votre Majesté, on mélange douze ou quinze gouttes de cette huile à l’huile de la veilleuse, Votre Majesté s’endormirait comme d’habitude, sans éprouver ni angoisse ni malaise.