Page:Zévaco - Les Pardaillan - L'épopée d'amour, 1926.djvu/44

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Il était naïf. Une douleur entrevue même chez des inconnus lui serrait le cœur. Il rêvait de fabuleuses richesses pour étancher des larmes partout où il passerait. A défaut de richesses, il rêvait de parcourir le monde en aidant les opprimés, en frappant les oppresseurs. Il ne s’était admiré soi-même. Mais il comprenait vaguement qu’il était exceptionnel et digne d’admiration. Il en résultait que parfois des bouffées d’ambition montaient à son cerveau. L’ambition de quelque magnifique et glorieuse destinée.

Il calculait exactement sa valeur, et nous l’avons vu devant le roi, c’est-à-dire devant un être d’essence supérieure, tout voisin de la divinité, calme, paisible, railleur à son habitude, comme devant un égal. Et, au fond de lui-même, il s’était effaré de n’avoir par tremblé devant sa majesté royale. Lors donc qu’il se trouva seul, il n’éprouva pas le besoin de modifier son attitude. Il avait simplement dit à son père qu’il ne lui restait plus qu’à mourir, parce qu’il se jugeait incapable de surmonter l’amour qui avait pris possession de son cœur. Avec la même simplicité, il eût sangloté, s’il en eût éprouvé le besoin.

Tel était ce héros qui avait étonné Catherine de Médicis si difficile à étonner, qui avait conquis l’admiration de Jeanne d’Albret, qui avait souffleté de son rire le duc d’Anjou, qui s’était moqué du roi de France, qui avait battu sur tous les terrains le maréchal de Damville, et que le maréchale de Montmorency traitait en hôte royal.

Il était si pauvre qu’à part les trois mille écus rapinés par son père, il allait se trouver sans un sol du jour où il sortirait de cet hôtel.

Sincère, moqueur, tendre, ouvert à toutes les émotions, fort comme Samson, élégant comme Guise, il passait dans la vie sans voir qu’il marchait dans une gloire.

Une fois seul, il ne maudit pas le maréchal et trouva que les choses étaient comme elles devaient être, puisque, selon les idées de son temps, — de tous les temps ! — un gueux ne pouvait épouser une héritière d’immenses richesses.

Il maudit encore moins Loïse, et se contenta de murmurer avec une adorable naïveté :

"Quel malheur pour elle ! Comment quelqu’un pourra-t-il jamais l’aimer comme je l’eusse aimée ?… Pauvre Loïse !…"

Et après quelques instants de réflexion :

"Je crois qu’il est impossible de souffrir plus que je ne souffre. SI cela devait durer huit jours, je deviendrais fou. Heureusement, tout va s’arranger. Cette nuit, nous sommes à Montmorency, demain je rentre à Paris. Et alors, voyons… combien sont-ils ? Damville : rude épée. Ce d’Aspremont dont m’a parlé mon père. Les trois mignons.