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cxxxiv
DISCOURS

Mes nouveaux Guides qui connoiſſoient mieux le Pays que mes Paliagars, me firent prendre par les montagnes. Le chemin étoit plus court, plus beau ; mais les eaux le rendent impraticable en Hiver, & la nuit on eſt expoſé à y rencontrer des Voleurs & des Pirates qui s’y retirent. Je paſſai la riviere de Dekle en ballon (la langue de ſable qui la veille la ſéparoit de la mer, ſe trouvoit alors coupée), laiſſant en deçà une jolie Pagode, & arrivai dans cette Ville à ſix heures du ſoir extrêmement fatigué.

On me conduiſit ſur-le-champ au Dorbar dans le Fort, où j’attendis le Gouverneur aſſez long-tems. Il parut enfin, & me dit obligeamment de m’aſſeoir. Tandis qu’un Secrétaire liſoit la Lettre du Commandant de Kiour, la Garniſon du Fort, compoſée de près de trois cens hommes, les Officiers à la tête, vint faire, paſſant comme en revue, le Salam au Gouverneur. Les brandons allumés, le bruit confus des tâls & des tambours, le ſon rauque des flutes & des Clairons, tout cela entremêlé de coups de fuſil, faiſoit un vrai charivari très propre à déconcerter un homme haraſſé, & inquiet du perſonnage qu’il alloit jouer.

Après cette ſcène Militaire il fallut en commencer une Juridique, &c dans laquelle je n’étois plus ſimple ſpectateur : mais la vûe de l’Interprete me raſſura. C’étoit un Canarin Chrétien qui parloit Portugais. Je lui fis entendre en deux mots qu’il n’avoit rien à eſpérer du Gouverneur, s’il me deſſervoit, & que, de mon côté, ſes bons offices ne ſeroient pas ſans récompenſe. On lui donna à examiner mes papiers qui étoient pleins de lignes avec quelques plans, ma Bouſſole, ma Lunette ; & ſur ce qu’il aſſura que toutes ces choſes avoient rapport à l’Aſtronomie, on me les rendit. Après cela recommencerent les queſtions qu’on m’avoit faites à Kiour, & auxquelles je répondis de la même maniere. On me demanda enſuite pourquoi je n’avois pas de Lettres de Neliceram : c’étoit en effet la négligence du Commandant de cet endroit qui m’expoſoit aux ſoupçons des Canarins. Je répondis ſimplement que je ne les avois pas cru néceſſaires, mais qu’au reſte le Gouverneur pouvoit envoyer un Exprès a Neliceram, & qu’on lui feroit connoître qui j’étois. Cette réponſe ne parut pas ſatisfaiſante.