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LE BOUTE-CHARGE

voyais perdu dans ce grouillement de choses et d’hommes inconnus, comme la goutte d’eau doit se voir perdue à travers les vagues puissantes de la pleine mer. Je devenais un rouage minuscule dans je ne savais quelle gigantesque machine.

Assis sur le bord du lit que le brigadier venait de me désigner en me disant simplement : « Vous prendrez la place de Reynaud qui est parti ce matin à l’hôpital », je luttais contre de mystérieuses alarmes ; et je crois que j’allais m’abandonner à ces pleurnicheries de la pensée qui sont l’écueil du jeune soldat, lorsqu’une voix chaude et franche vint me réveiller :

— Eh bien, que fais-tu là ? Viens donc fumer une pipe.

Oh ! ce tutoiement soudain, cette parole insignifiante au fond de laquelle je devinais tant de fraternel encouragement, quelle révolution ils opérèrent en moi !

Ce « viens donc fumer une pipe » voulait exprimer mille pensées qui restaient confuses