Page:Zevaco - Triboulet, 1901.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
53
TRIBOULET

Il y eut quelque chose comme une joie sourde dans l’accent de ces mots.

— Je te reconnais maintenant, reprit le grand prévôt. C’est toi qui vins un jour me supplier d’épargner une sorte de bohémien que j’ai fait pendre.

— Vous avez une prodigieuse mémoire, monseigneur. Ces faits remontent à plus de vingt ans.

— C’est vrai ! murmura Monclar. J’ai trop de mémoire… Oh ! si je pouvais oublier ! oublier !

Et il reprit à haute voix :

— Même, le jour de la pendaison, tu te jetas sur le bourreau et le mordis cruellement… Tu fus graciée…

— J’avais oublié, monseigneur… Vraiment votre mémoire m’étonne moi-même ! Moi qui passe dans ma tribu pour garder une impression merveilleuse du passé…

— Le bohémien fut pendu ! continua Monclar en observant avec attention la vieille.

— C’était mon fils, monseigneur…

Elle dit cela très simplement, sans haine aucune.

— Et maintenant, que veux tu ?

— Rien monseigneur !

— Pourquoi me regardes-tu quand je passe ?

— C’est une habitude chez moi… voilà tout.

Le grand prévôt pressa les flancs de son cheval qui fit un pas.

— Monseigneur ! dit la vieille.

— Allons, parle… je savais bien que tu avais quelque chose à dire.

— On m’a assuré que vous vouliez faire arrêter Lanthenay.

— Tu le connais ?

— Assez pour m’intéresser à lui… Et puis, surtout, je m’intéresse à une jeune fille… nommée Avette… la fille d’un imprimeur… qui demeure par là… Ces deux enfants s’adorent, monseigneur.

— Tu en es sûre ?

— Sûre ! C’est pourquoi je vous prie, monseigneur. Si Lanthenay est perdu, Avette en sera bien triste… et son père aussi.

La prière était si peu une prière que le grand prévôt eut la rapide intuition que la vieille machinait peut-être tout autre chose que le bonheur d’Avette et de Lanthe-