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LUCIUS.


lors de contester à l’auteur de l’Histoire véritable un ouvrage où son esprit fin et mordant est empreint k chaque ligne. Tout ce qu’on peut admettre, c’est que Lucien en a trouvé la donnée dans le domaine public ; qu’il l’a empruntée peut’être à quelqu’un de ces informes recueils de fables comme il, y en avait tant dans l’antiquité. La vieille fiction des transformations d’un homme en âne, sera devenue entre ses mains, comme tout ce qu’il touchait, une matière à fine raillerie : L’Ane de Lucien est aux Métamorphoses de Lucius, ce que l’Histoire véritable est aux romans de voyages, ce que Don Quichotte est aux romans de chevalerie, une critique, burlesque dans la forme, mais au fond pleine de sens et de portée. Rien n’empêche même de supposer que, trouvant le nom de Lucius à la tête de la compilation à laquelle il avait emprunté sa donnée première, il a, par une plaisanterie bien conforme à ses habitudes, affublé l’auteur lui-même de la peau de l’âne pour en faire le héros de son roman.

On peut admettre aussi, et même avec plus de vraisemblance, que Lucien a fourni le modèle, et que quelque sophiste, en faisant la collection des diverses métamorphoses, a placé, en tête de sa compilation, Lucius ou l’Ane, dont le titre : Métamorphoses de Lucius de Patras sera devenu celui du recueil tout entier. Ainsi s’expliquerait naturellement l’identité signalée par Photius entre l’Ane de Lucien et les deux premiers livres des Métamorphoses. Car quant à croire qu’il a existé un auteur du nom de Lucius de Patras, que cet écrivain s’est pris lui-même pour le héros d’une fiction burlesque, rien ne semble moins avéré ni plus contraire aux habitudes des Grecs.

P.-L. Courier a dépensé beaucoup d’esprit et de verve pour établir les titres de Lucius de Patras à la paternité de cette ingénieuse fiction ; il va jusqu’à prétendre que l’Ane et les Métamorphoses sont du même auteur ; que Lucius de Patras a commenté, allongé son propre ouvrage, qu’il l’a défiguré en vieillissant, et que, de remaniements en remaniements, ce petit chef-d’œuvre d’observation, de gaîté, de naturel, s’est transformé en une plate et niaise compilation. Une pareille thèse ne soutient pas la discussion ; à qui persuadera-t-on qu’un ouvrage aussi achevé soit sorti de la plume du sophiste inconnu que Photius, homme de goût et de lectures variées, a si rudement caractérisé ? Autant vaudrait prétendre que