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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/100

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LE SANG

I

Quatre soldats, le jour de la victoire, avaient campé dans un coin désert du champ de bataille. L’ombre était venue, et ils soupaient joyeusement au milieu des morts.

Assis dans l’herbe, autour d’un brasier, ils grillaient sur les charbons des tranches d’agneau qu’ils mangeaient saignantes encore. La lueur rouge du foyer les éclairait vaguement et projetait au loin leurs ombres gigantesques. Par instants, de pâles éclairs couraient sur les armes gisant auprès d’eux, et alors on apercevait dans la nuit des hommes qui dormaient les yeux ouverts.

Les soldats riaient avec de longs éclats, sans voir ces regards qui se fixaient sur eux. La journée avait été rude, et, ne sachant ce que leur gardait le lendemain, ils fêtaient les vivres et le repos du moment.

La Nuit et la Mort volaient sur le champ de bataille, et leurs grandes ailes y secouaient le silence et l’effroi.

Le repas achevé, Gneuss chanta. Sa voix sonore se brisait dans l’air morne et désolé ; la chanson, joyeuse sur ses lèvres, sanglotait avec l’écho. Étonné de ces accents qu’il ne connaissait point et qui sortaient de sa bouche, le soldat chantait plus haut, quand un cri terrible s’éleva dans l’ombre et traversa l’espace.