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LE SANG

Gneuss se tut, comme pris de malaise, et dit à Elberg :

― Va donc voir quel cadavre s’éveille.

Elberg prit un tison enflammé et s’éloigna. Ses compagnons purent le suivre quelques instants à la lueur de la torche. Ils le virent se courber çà et là, interrogeant les morts et fouillant les buissons de son épée. Puis il disparut.

― Clérian, dit Gneuss après un silence, les loups rôdent ce soir, va chercher notre ami.

Et Clérian se perdit à son tour dans les ténèbres.

Gneuss et Flem, las d’attendre, s’enveloppèrent dans leurs manteaux, couchés tous deux auprès du brasier demi-éteint. Leurs yeux se fermaient, lorsque le même cri terrible passa sur leurs têtes. Flem se leva, silencieux, et marcha vers l’ombre où s’étaient effacés ses deux compagnons.

Alors Gneuss se trouva seul. Il eut peur, peur de ce gouffre noir, où courait un râle d’agonie. Il jeta dans le brasier des herbes sèches, espérant que la clarté du feu dissiperait son effroi. La flamme monta, pétillante, et le sol fut éclairé d’un large cercle lumineux ; dans ce cercle, les buissons dansaient fantastiquement, et les morts, qui dormaient à leur ombre, semblaient secoués par des mains invisibles.

Gneuss eut peur de la lumière. Il dispersa les branches enflammées il les éteignit sous ses talons. Comme l’ombre retombait, plus pesante et plus épaisse, il frissonna, redoutant d’entendre passer le cri de mort. Il