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Page:Zola - Contes à Ninon, 1864.djvu/107

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LE SANG

secoua avec horreur sur la terre. La terre but cette goutte, frémissante, épouvantée ; un long cri de répugnance s’échappa de son sein, et le sable du sentier rendit le hideux breuvage en mousse sanglante.

Au cri de la victime, je vis les créatures se disperser sous le vent de l’effroi. Elles s’enfuirent par le monde, évitant les chemins frayés ; elles se postèrent dans les carrefours, et les plus forts attaquèrent les plus faibles. Je les vis dans l’isolement polir leurs crocs et acérer leurs griffes. Le grand brigandage de la création commença.

Alors passa devant moi l’éternelle fuite. L’épervier fondit sur l’hirondelle, l’hirondelle dans son vol saisit le moucheron, le moucheron se posa sur le cadavre. Depuis le ver jusqu’au lion, tous les êtres se sentirent menacés, et dévorant leurs frères, trouvèrent à leurs côtés des frères prêts à les dévorer.

La nature elle-même, frappée d’horreur, eut une longue convulsion. Les lignes pures des horizons se brisèrent. Les aurores et les soleils couchants eurent de sanglants nuages ; les eaux se précipitèrent avec d’éternels sanglots, et les arbres, tordant leurs branches, jetèrent chaque année des feuilles flétries à la terre.