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LE SANG

III


Comme Elberg se taisait, Clérian parut. Il s’assit entre ses deux compagnons et leur dit :

― Je ne sais si j’ai vu ou si j’ai rêvé ce que je vais conter, tant le rêve avait de réalité, tant la réalité paraissait un rêve.

Je me suis trouvé sur un chemin qui traversait le monde. Il était bordé de villes, et les peuples le suivaient dans leurs voyages.

J’ai vu que les dalles en étaient noires, et, m’étant baissé, j’ai reconnu qu’elles étaient noires de sang. Dans sa largeur, il s’inclinait en deux pentes ; un ruisseau, coulant au centre, emportait dans son lit une eau rouge et épaisse.

J’ai suivi ce chemin où la foule s’agitait, inquiète et empressée. J’allais de groupe en groupe, regardant la vie passer devant moi.

Ici, des pères immolaient leurs filles dont ils avaient promis le sang à quelque dieu monstrueux. Les blondes têtes se penchaient sous le couteau, et pâlissaient au baiser de la mort.

Là, des vierges frémissantes et fières se frappaient pour se dérober à de honteux embrassements, et la tombe servait de blanche robe à leur virginité.

Plus loin, des amantes mouraient sous les baisers.